Jean-Marc Labat a écrit :
Il y avait un besoin et il a développé un concept. Convaincre son banquier est essentiel, grandir le plus rapidement possible l'est aussi avant que la concurrence sente le danger. Combien de fois ai-je lu qu'il allait se casser la gueule. C'est une belle réussite de quelqu'un qui est parti avec pas grand chose et qui a atteint le sommet. Je suis désolé, mais j'admire ce parcours. Après tout, La Redoute pouvait en faire autant. Il faut, tout comme les grands animaux politiques, avoir ce que les Américains appellent le "killer instinct.
L'intéressant est que le concept était évident (une librairie en ligne) et de fait il a su faire avaler à son banquier, mais surtout aux investisseurs sur le Nasdaq - à coups d'augmentations de capital pour se financer - que LA librairie en ligne ce serait lui.
Mais ce que j'ai dit sur sa prise en compte tardive du métier de la logistique est attesté. Et je pense que lui-même n'avait pas entrevu que l'excellence en ce domaine allait lui permettre de devenir LE site en ligne pour une foule d'autres produits.
(A noter aussi qu'il a su, au fur et à mesure de l'augmentation de sa fréquentation et de sa notoriété - et donc de son CA - s'agréger des sous-traitants sur lesquels il prélève une marge. C'est très visible sur les bouquins : pour profiter de "l'effet de longue traîne" - c'est l'idée qu'un site Web permet de mettre en ligne des milliers de référence - il s'est agrégé des librairies qui stockent des livres peu vendus, autant de références qu'il n'a pas à stocker - ça coûte cher - mais sur lesquelles il prélève sa commission. Et c'est le cas avec d'autres produits : Amazon bénéficie d'une rente de situation parce qu'il est devenu une vitrine obligée, un peu comme la grande distribution française avec les PME. )
L'aventure Amazon appelle aussi une autre remarque : cette ascension est facilitée par l'existence d'un marché intérieur colossal et basé sur une seule langue, le marché US, auquel on peut même ajouter le Canada.
Cette possibilité de booster rapidement le CA n'existe pas sur le marché européen, qui demande des adaptations multi-langues et des adaptations logistiques par pays, notamment sur "le dernier kilomètre". - Amazon n'a attaqué l'Europe que dans un deuxième temps. Ce marché éclaté est un handicap pour les entrepreneurs européens. J'aurais tendance à dire que non, la Redoute ou la Fnac n'auraient pas pu faire la même chose. (Et puis il faut bien avouer que la possibilité de se faire financer par la bourse est beaucoup plus limitée en Europe, où la prise de risque n'est pas aussi courante...)
Citer :
Il y a aussi les grandes firmes qui ne sentent pas le marché et tombent, je ne citerai ou Kodak ou Nokia.
Kodak c'est intéressant : il s'agit d'une entreprise qui savait son marché condamné, qui disposait de très bonnes réserves financières, mais qui n'a tout simplement pas su passer à une autre activité : le changement culturel était trop important, d'autant qu'il devait se faire rapidement. (L'argentique est tombée en quelques années.)
Nokia, oui, alors qu'il s'agissait pourtant d'une entreprise avec un management collectif très souple, s'est plantée sur sa projection des évolutions de son marché.
C'est pour cette raison que j'admire Bill Gates, qui n'a quasiment jamais tapé à côté des évolutions d'un marché pourtant très difficile à sentir. IBM qui a une force de frappe financière très réelle, et qui voulait reprendre pied sur le marché des OS pour PC s'est planté magistralement avec
le système OS2 dont l'ergonomie était plus que pénible, et le fonctionnement en réseaux de PC trop complexe. - ça m'a valu une belle galère sur une automatisation d'atelier, je ne détaille pas... Jamais plus IBM n'a refait de tentative pour concurrencer Windows !
(Bill Gates, dont on s'arrachait les interviews pour suivre sa vision des choses, a su aussi, par exemple, garder longtemps son calme face à l'idée très répandue que l'informatique familiale allait forcément exploser demain matin : "Tant qu'il n'y aura pas d'applications autres que le fait de faire ses comptes sur Excel, l'usage familial des PC n'aura qu'un succès de curiosité." De fait l'informatique familiale n'a finalement explosée qu'avec l'arrivée d'Internet, en même temps que les jeux vidéos. Soit plus de 10 ou 15 ans après sa généralisation pour la bureautique d'entreprise.)