Narduccio a écrit :
Beaucoup plus compliqué. En fait, si on faisait un tout petit exercice de mémoire... Comment ont débutées les délocalisations ? Dans un premier temps on a délocalisé les activités à faible valeur ajoutées où celles requérant une main d’œuvre peu qualifiée. Ceux qui en doutent peuvent faire l'effort d'aller consulter les articles des années 80-90 et 2000, des articles où les décideurs économiques annonçaient que l'on allait garder en France les activités avec une forte plus-value. Souvent dans ces articles il y avait un chapitre où l'on rappelait que les français étant de mieux en mieux éduqués, ils étaient presque trop éduqués pour ces activités-là.
Je me souviens d'une entreprise textile de Mulhouse qui avait ouvert en grande pompe une unité d'ingénierie, tandis qu'elle délocalisait ses activités les moins rentables. Sous-entendu, les français vont devenir un peuple d'ingénieurs et de techniciens (supérieurs), les ouvriers spécialisés seront employés dans leurs pays d'origine. Mais, au passage certains rappelaient que ce que produisait la France était trop cher pour les marchés émergents et qu'il était plus rentable de produire ce qui était déjà rentabilisé dans ces pays-là en transférant les usines et les machines. Du coup, les délocalisations se firent vers l'Europe de l'Est, le Maghreb, des pays du Proche-Orient, puis du Moyen-Orient...
Mais, petit à petit on a aussi délocalisé les compétences. En fait, un centre d'ingénierie accolé à une usine est plus pertinent que celui qui se trouve à 2 ou 3 fuseaux horaires. Au début, ce furent des techniciens français, payés royalement, qui sont allés faire le job dans les usines délocalisées en servant de relais entre les centre d'ingénierie et les travailleurs locaux. Actuellement, les techniciens locaux ont une compétence supérieure aux français, car eux étaient au contact de l'outil de travail. Donc, on a ensuite délocalisé les bureaux de méthodes, puis les centres d'ingénierie, ne restent en France que quelques ateliers à très haute valeur ajoutée. Il y a encore des filatures en Alsace, entre autre celle qui file en fibre de céramiques les tuyères d'éjections de certains moteurs de fusées... La filature qui faisait des milliers de kilomètres de draps a disparu depuis longtemps, même si on tente de relocaliser une partie de la production, en commençant par la production haut de gamme, celle des gens prêts à payer 200 à 500 € pour une paire de draps de bonne qualité.
Il faut ajouter que l’adhésion à l’euro et le renforcement des réglementations européennes sur la concurrence impliquaient la recherche et la mise en œuvre de nouveaux outils de politique économique, destinés à remplacer le rôle qu’avaient pu jouer antérieurement, dans la restauration de la compétitivité, les dévaluations puis la politique de désinflation compétitive et les grands programmes industriels.
En dehors de quelques secteurs de haute technologie comme l’aéronautique ou l’armement, la France était spécialisée dans les produits bas de gamme, donc soumise à la concurrence par les prix. L’adhésion au taylorisme, en tant que principe d’organisation des firmes et outil de gestion de la relation salariale, hypothéquait la conversion à un modèle fondé sur la compétence et la polyvalence comme celui qui se développe à partir des expériences japonaises et du toyotisme. Enfin, la dévalorisation du travail industriel contribue à la piètre compétitivité de l’économie française.
Les années 90 voient les industriels français se tourner vers le secteur des technologies de l’information et de la communication, plus diffus et du même coup moins aisé à piloter pour les autorités politiques. Dans le même temps, les grandes entreprises françaises adoptent une stratégie mondiale qui s’affranchit de l’espace national. Et les traités européens entravent la poursuite des grands programmes industriels qui avaient impulsé le redressement de l’après-guerre. Le droit européen de la concurrence, en particulier, fait désormais obstacle aux grands investissements publics dans le développement de l’appareil industriel .
Les années 2000 apportent de nouvelles restrictions à la possibilité de politiques industrielles à la française. Le lancement de l’euro redonne l’avantage concurrentiel à l’Allemagne en matière de produits industriels. Les actions sectorielles laissent définitivement place aux politiques horizontales d’encouragement à l’innovation par le crédit impôt. Mais, alors que ce dernier était supposé redéployer l’aide publique des grandes entreprises vers les PME et permettre la création de jeunes pousses dans les nouveaux secteurs, ce sont finalement les premières qui continuent à en bénéficier, sans grande percée en matière d’innovations radicales et génériques susceptibles d’enrayer la désindustrialisation.
Bref vous avez raison, c'est plus compliqué qu'un simple problème de fiscalité ou de droit du travail...