Foulques, j'ai précisé que l'esclavage américain était à mes yeux un phénomène intermédiaire, la mise en oeuvre moderne d'une institution archaïque, le chant du cygne de l'esclavage en quelque sorte; je pense que nos positions ne sont donc pas éloignées sur ce point.
Je ne suis pas non plus en désaccord radical avec Caesar lorsqu'il écrit qu'une religion, c'est ce qu'en font ceux qui y croient.
Avec un bémol toutefois, qui est qu'une religion monothéiste commence par un/des textes, et que le contenu de ces textes--comportant des différences importantes selon les monothéismes--reste important, sinon déterminant, dans ce que les croyants font ultérieurement cette religion.
C'est tout de même à partir de cet apport initial, comme la perle avec le grain de sable, que se produit tout le travail d'adaptation, de tri, d'interprétation qui transforme une parole ''divine'' en pratique sociale.
Tout d'abord, tous les textes religieux contiennent des règles totalement inapplicables ou qui compliquent considérablement la vie des croyants, vont à l'encontre de leurs intérêts etc.
Donc le fait d'essayer de trouver des moyens de ne pas observer ces prescriptions-- mais si possible en toute bonne conscience, sans crééer de conflits ouverts avec sa foi et son groupe religieux--va donc faire partie intégrante de la pratique religieuse.
Si les prescriptions en question sont vagues ou contradictoires, c'est assez facile de trouver des solutions.
Mais il existe des prescriptions parfaitement claires et sans marge de manoeuvre, comme celles sur l'interdiction du prêt à intérêt fixe, commune à l'Islam et à la chrétienté, prêts dont il est essentiel de pouvoir disposer pour pouvoir lancer et développer nombre d'activités économiques.
Dans la chrétienté, cette interdiction est posée plusieurs fois dans l'Ancien Testament--Exode, Lévitique, Deutéronome--une fois dans le Nouveau, et ensuite par les pères de l'Eglise et par concile après concile. Voir URLS.
Benoit XIV la rappelle encore en 1745.
Les protestants ont des positions diverses; Luther désapprouve, Calvin autorise.
Entretemps, il a bien fallu que soient trouvées des solutions. Celle des Juifs prêteurs, car non assujettis aux lois des Chrétiens, est connue. Le prêt à intérêt était aussi pratiqué par des chrétiens, parfois des étrangers--les Lombards--mais aussi par des locaux qui passaient outre aux menaces de châtiments brandies par l'église--excommunication et refus de sépulture en terre chrétienne par ex.--et à la déconsidération sociale que leur valait la réputation d'usurier.
C'était, semble-t'il, essentiellement des usuriers à la petite semaine. Mais l'apparition des premières formes d'activités bancaires change le regard que l'on porte sur le prêt.
Et le débat sur l'usure continuait à l'intérieur de l'église. Celle-ci était rejettée essentiellement comme vol, le fait de faire payer du vent, une intervention non productive, parasitaire.
Enfin, le concile de Latran en 1513 autorise certaines formes de prêt comme non usuraires : « Il faut entendre par usure le gain et le profit réclamés sans travail, sans dépenses, ou sans risque, pour l’usage d’une chose qui n’est pas productive. » Tout ce qui est en dehors de cette définition est donc autorisé.
Les stratégies chrétiennes pour trouver des solutions à cet interdit de l'usure me semblent différentes des stratégies musulmanes.
La non-observance pure et simple de l'interdit par des chrétiens semble relativement répandue d'une part. Et suite à un débat prolongé sur cette question, les autorités ecclésiastiques évoluent, aménagent la loi, rendent l'usage du prêt possible dans certaines conditions.
En Islam, l'approche semble être essentiellement ''on ne touche pas à la loi, on la contourne'', on la vide de son contenu, de sorte qu'elle reste apparemment intouchée, immuable, mais en fait c'est une coquille vide. On fait des prêts mais on appelle les intéréts actionnariat, participation aux bénéfices, etc.
En apparence, cela revient au méme, mais il y a une différence d'approche fondamentale, explicable par les statut différents des textes sacrés, selon moi.
L'église catholique n'a aucun scrupule à modifier la loi biblique, à la rogner, et finira par l'abolir. Ca fait partie de ses pouvoirs, elle peut dire la loi religieuse à l'égal du texte fondateur, éventuellement elle peut le contredire ou l'abolir.
En Islam, il ne peut être question de toucher au texte sacré, qui est pure parole divine dictée au Prophète par Gabriel sans intervention humaine. Il faut donc le contourner, d'où prédominance des solutions style ''maquillage, euphémisme et casuistique''.
Le littéralisme attribué au monde musulman est la conséquence directe de la réception non humainement médiatisée du Coran.
Et aussi, il n'y a pas en Islam de source d'autorité religieuse suprême et unifiée habilitée à dire la loi pour l'ensemble de la communauté des croyants comme la papauté dans la chrétienté.
Voilà pourquoi je pense qu'il y a des modalités spécifiques, et des limites, pour ce qui est de ce que des gens peuvent faire de leur religion, dans le domaine économique ou autre, et que les textes et traditions fondatrices déterminent de façon importante ces modalités et limites.
http://www.salve-regina.com/Chretiente/L_usure.htm
http://cgi.cvm.qc.ca/histoire/scripts/l ... %20Age.txt