Tout d'abord, si j'ai cité des exemples très contemporains, c'est avant tout par souci didactique, pour montrer que les scandales se multiplient aujourd'hui, ce qui pose très certainement la question d'une définition détournée. Mais je comptais faire tourner l'essentiel du débat sur les scandales de la IIIe République.
Je voudrais aussi revenir sur ceci :
Citer :
Le scandale n'est « républicain » que parce que la république en est un élément facilitateur:
Il se trouve que pour qu’il y ait scandale, il faut qu’il y ait une opinion publique et un relais de communication libre pour l’informer ; c’est pourquoi il aurait été intéressant de remonter beaucoup plus loin pour constater que le scandale n’est pas né avec la République, mais que ses manifestations étaient sporadiques parce que ces deux conditions n’étaient pas réunies (ex : la tour de Nesle, les rapports supposés de Mazarin et de la reine, l’affaire des poisons, Law, l’affaire du collier, etc...). C’est d’ailleurs pour les mêmes raisons que les dictatures du XXème siècle ne connaissent pas le scandale, du moins à l’intérieur de leurs frontières.
Je pense au contraire que le scandale est typiquement républicain, sur deux plans. D'abord, il coïncide avec la nature du régime politique. Ensuite, il colle à la République parce que la République en France est née à un moment précis de l'histoire de la civilisation française.
Sur le premier plan, tout d'abord. L'apparition de la République, du "gouvernement du peuple, par le peuple, et pour le peuple", pose la notion de contrat tacite, qui est une continuation du contrat monarchique mais qui en voit ses traits profondément modifiés. Le peuple (selon les natures du suffrage) confie ses intérêts à des gouvernants, dont il attend une satisfaction à un pourcentage invisiblement défini. En parallèle, l'apparition du vote fait naître la notion de "conscience politique". La République impose que les Français soient attentifs à la vie politique.
L'essor de la presse et de l'alphabétisation ont contribué, je pense, à donner corps à la conscience politique. Le scandale ne peut naître, comme il a été dit, que dans une population globalement lettrée et cultivée. D'où, souvent, la faible amplitude des scandales électoraux en Afrique. Non pas qu'ils n'existent pas ou qu'ils n'existent que par le regard des journalistes occidentaux, bien au contraire ! mais ils sont révélés au grand jour par une faible proportion de la population.
C'est pourquoi on ne peut vraiment parler de scandale sous le règne de Louis XIV. L'audience du scandale y est-elle vraiment nationale ? L'affaire des Poisons ne touche-t-il pas que les corridors de Versailles ? D'ailleurs, ce qu'on note, c'est qu'avant la République, c'est le pouvoir royal qui révèle le scandale. Et, les rares fois où le peuple se révolte, on ne peut parler de scandale, tout au plus d' "émotions", comme on disait alors : ainsi, les mazarinades ne sont pas l'expérience d'un scandale vécu, mais une révolte aux fondements visibles.
Ce qui caractérise le scandale, c'est le fossé entre le dit et le tu, le montré et le caché. Avoir conscience du mensonge public n'est pas chose aisée : cela met sur le devant de la scène la question de la clairvoyance et de la naïveté, donc de l'intelligence supposée des individus. Ce fossé ne peut apparaître que dans la mesure où le pouvoir central est narré, analysé, par des vecteurs de transmission vers l'opinion publique. Pour évaluer la largeur du fossé, il faut en connaître les deux rebords, soit, d'un côté, la conscience de l'appareil d'Etat et des relations de pouvoir, de l'autre, la conscience d'un corps constitué.
Le scandale revêt aussi une dimension psychologique : pour qu'il y ait scandale, ne faut-il pas qu'on prenne conscience d'un lèse collectif que l'on ressent individuellement ? C'est ce qui fait tout la difficulté de la notion, car l'appréhender nécessite de se tourner vers la psychologie et l'histoire des mentalités.
Au lieu de manifestations sporadiques du scandale avant l'ère de la République, je pense que les scandales sous la monarchie n'en sont pas, qu'ils sont plutôt des défections de conjuration, qui émeuvent des gens avertis (lettrés) mais qui n'ont presque aucun point commun avec les scandales de la République, sauf, peut-être, dans de rares cas, celui de ternir l'image du pouvoir central.
Quant à la tradition française du scandale, je ne souhaitais évidemment pas dire que le scandale est typiquement français : le scandale récent en Hongrie le dément implacablement. Je posais simplement la question de savoir s'il n'y avait une culture française du scandale, dont le charbon serait un vieux fonds de sempiternelle défiance vis-à-vis du pouvoir.