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 Sujet du message : Le scandale en République
Message Publié : 24 Nov 2006 2:03 
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Plutarque
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[Précaution oratoire : il m'a semblé que ce sujet avait sa place dans ce forum. Il est du moins celui qui se rapproche le plus de mes propos. Toutefois, si les modos devaient estimer qu'il doit être déplacé dans une autre section, libre à eux. :) ]

                        .Ceci est un débat.
Le scandale en politique : sujet apparemment bénin, dont chacun peut citer des exemples - qui seront souvent les mêmes : l'ARC, le sang contaminé, Clearstream, le Rainbow Warrior, etc. Mais déjà, en citant des exemples a priori, l'on se rend compte de l'extrême diversité des scandales contemporains. En remontant le fil des événements (qu'on arrêtera à la IIIe République), d'autres exemples affleurent : le scandale de Panama, l'affaire des fiches, des décorations, l'affaire Stavisky. Déjà, la nature du scandale se modifie : au XIXe et dans la première moitié du XXe siècle, nous sont parvenus des scandales politico-financiers ; depuis une vingtaine d'années, le scandale perce le monde de la santé publique.

Mais qu'est-ce que le scandale ? Existe-t-il en soi, c'est à dire : est-il un événement historique ? auquel cas on peut en définir des traits. Au contraire, est-il le faisceau lumineux qui sort d'un prisme qui façonne l'événement historique ? auquel cas le scandale s'apparente à une chape dont on revêt un événement historique.

Comment apparaît le scandale ? Est-il pleinement affranchi d'un contexte comme la tornade qui frappe indépendamment de la virtuosité avec laquelle le gouvernant tient son territoire ? Au contraire, le scandale peut-il n'apparaître que dans un contexte houleux ? ce qui pose dès lors, pour un esprit cartésien qui écarte la coïncidence sans cesse répétée, la question de "celui par qui le scandale arrive".

Ainsi, le scandale peut-il avoir une fonction, être une baguette dans la main d'un chef d'orchestre ? Dès lors, les notions de scandale et de complot tendent à se rapprocher, la première apparaissant comme pouvant satisfaire les desseins de la deuxième. Mais sont-elles vraiment une seule et même chose ?

Dans une France dont la culture républicaine est composée de violence, comment étudier le rapport entre l'expérience du scandale par la population française et la nature même du scandale ? Ce scandale, dont les populations se plaignent et qui peut modifier leurs pratiques (mouvements collectifs, pratiques électorales, etc.) et leurs cultures politiques (antiparlementarisme, désaffection de la politique, etc.), n'est-il pas produit par ces mêmes populations, de manière inconsciente et collectivement congénitale ?

Au final, le scandale est-il atavique à la République et miroir des passions françaises ?

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Message Publié : 24 Nov 2006 5:56 
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Citer :
En remontant le fil des événements (qu'on arrêtera à la IIIe République)

Le sujet est intéressant mais, si cela est une borne amont, je rappelle la borne aval (1989), avec la précaution supplémentaire de ne pas mettre en cause des personnalités encore actives, il serait donc prudent de limiter vos exemples aux années 70, faute de quoi je crains une rapide dérive du débat...

Sinon, j’ai deux remarques sur la problématique du sujet :
Citer :
Au final, le scandale est-il atavique à la République et miroir des passions françaises ?

- Le scandale n’a rien de spécifiquement français:
Vous évoquez dans vos exemples "l’extrême diversité des scandales" : politico-financiers, trafics d’influence, corruption, parce que dans notre culture effectivement, ce sont ces domaines qui sont le plus opératoires ; mais la culture du lobby et du « business » chez les anglo-saxons crée chez eux une certaine marge de tolérance, alors que c’est l’inverse pour les affaires sexuelles, qui ont beaucoup de difficulté à indigner des « passions françaises » particulièrement complaisantes voire admiratives.

- Le scandale n'est « républicain » que parce que la république en est un élément facilitateur:
Il se trouve que pour qu’il y ait scandale, il faut qu’il y ait une opinion publique et un relais de communication libre pour l’informer ; c’est pourquoi il aurait été intéressant de remonter beaucoup plus loin pour constater que le scandale n’est pas né avec la République, mais que ses manifestations étaient sporadiques parce que ces deux conditions n’étaient pas réunies (ex : la tour de Nesle, les rapports supposés de Mazarin et de la reine, l’affaire des poisons, Law, l’affaire du collier, etc...). C’est d’ailleurs pour les mêmes raisons que les dictatures du XXème siècle ne connaissent pas le scandale, du moins à l’intérieur de leurs frontières.

En fait, ne pourrait-on pas plutôt dire que le scandale est moins le fils de la République que celui de la liberté ?

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Dernière édition par Plantin-Moretus le 24 Nov 2006 7:18, édité 2 fois.

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Message Publié : 24 Nov 2006 7:08 
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Plantin-Moretus a écrit :
En fait, ne pourrait-on pas plutôt dire que le scandale est moins le fils de la République que celui de la liberté ?


Bonjour,

Je pense que vous sous-entendez "liberté des média".
Sans média, pas de scandale, puisque pas d'information des foules et donc pas de réaction de masse.
Autre point est l'éducation des foules. Si les gens ne savent pas lire ou analyser, pas de réaction populaire.
Je crois qu'il faut tenir compte des possibilités d'émission, de propagation et de réception de l'information.
Cordialement

Jean


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Message Publié : 24 Nov 2006 7:15 
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Citer :
Je pense que vous sous-entendez "liberté des média".

Oui mais pas exclusivement. Quand je dis "relais de communication libre", j'entends aussi relais politique autorisé par le pluralisme des partis...
Citer :
Autre point est l'éducation des foules. Si les gens ne savent pas lire ou analyser, pas de réaction populaire

N'est-ce point justement "l'opinion publique" ?

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Message Publié : 24 Nov 2006 9:01 
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Plantin-Moretus a écrit :
N'est-ce point justement "l'opinion publique" ?


Bien sur. Mais je veux simplement dire qu'il faut qu'elle ait les moyens de se forger : information puis analyse, puis opinion.
En l'absence de média de masse, il n'y a que le bouche à oreille qui met pas mal de temps à se propager. Les réactions de masse (opinion) sont minimes.
Je pense, mais je dis çà au hasard, qu'un évènement se produisant à la cour au 18ème était connu le lendemain de quelques milliers de personnes. De nos jours, grâce à la télévision, il est connu de quelques millions.

Jean


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Message Publié : 24 Nov 2006 9:40 
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Eginhard
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Sur ce sujet, Jean GARRIGUES avait écrit un ouvrage en 2004, publié chez Robert Laffont :


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« Le luxe [...] corrompt à la fois le riche et le pauvre, l’un par la possession, l’autre par la convoitise ; [...] il ôte à l’État tous ses citoyens pour les asservir les uns aux autres, et tous à l’opinion. »


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Message Publié : 24 Nov 2006 13:23 
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Philippe de Commines
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Sujet proche, par certains aspects, de celui du "complot" discuté hier...

Il me semble qu'il faut bien savaoir faire la part entre trois notions, particulièrement dans les exemples que vous avez cités en ouverture:

1- les faits avérés, jugés
2- l'opinion de chacun de nous, jugeant (ou pas) "scandaleux" ces faits.
3- le fait qu'un grand nombre de gens partagent cette opinion (là interviennent les médias), transformant le scandale en Scandale majuscule.

vous citez en vrac:
- l'ARC, une escroquerie d'un personnage condamné pour ça
- Le sang contaminé, décès d'un grand nombre de personnes suite à une mauvaise décision (de ne pas chauffer le sang) prise par des responsables.
- Clearstream, une escroquerie luxembourgeoise (avérée) doublée d'une manipulation politique (peut_être, en cours d'instruction) .
- Le Rainbow Warrior, un acte manqué de services secrets légitimement (en tout cas habituellement en ce bas monde) aux ordres des politiques pour les besognes jugées conformes à l'intérêt du pays.
- Panama, une faillite frauduleuse accompagnée de délit d'initié
etc.

Pensez-vous (vous tous) que les faits sont du même ordre?
Les jugez-vous tous scandaleux au même niveau (bien que le Scandale majuscule soit comparable)

Sans vouloir excuser des délits ou crimes, pour certains jugés comme tels,
deux cas m'interpellent:
- le sang contaminé: des responsables (politiques ou administratifs) ont pris des mauvaises décisions en connaissance de cause, certes, mais (me semble-t-il) en croyant faire le bien public. (D'où l'expression tant brocardée mais tellement juste, selon moi, de "responsable mais non coupable). Il n'y a pas eu de prise d'intérêt personnel. Le Scandale s'explique par l'immense douleur d'un très grand nombre de personnes. Mais la conséquence est la suivante: aucun responsable ne prend plus de décision (donc ni bonne ni mauvaise) et ouvre le parapluie. Exemple: plus aucun maire ne va acheter de la salade "bio" au paysan du village pour la cantine scolaire, craignant la salmonellose, et va acheter de la salade trafiquée chez les grandes enseignes.

- les délits d'initiés: La bourse consiste à placer de l'argent, puis à se mouiller le doigt, le lever en l'air, et vendre ou acheter des actions selon l'impression que donne le vent, au feeling. Ce jeu est admis, considéré comme normal, chroniqué sur toutes les radios et télés. Si quelqu'un dispose d'informations plus fiables que le doigt mouillé, du fait de ses fonctions ou de ses relations, il n'aurait plus le droit de jouer ! Selon moi, le scandale, si scandale il y a, est dans l'existence même du jeu, pas dans la façon dont il se joue. Exemple proche, qui s'est passé à Pau il y a quelques années: un escroc (parait-il lié à des politiques, selon une rumeur tenace qui reste à vérifier) proposait à des pigeons des placements à 25% (!), et un jour il est parti avec le capital. Les pigeons sont allés se plaindre à la justice, d'où scandale en Béarn. Selon moi, le scandale aurait été qu'ils gagnent vraiment 25% !

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"La vie des hommes qui vont droit devant eux, renaitraient-ils dix fois en dix mondes meilleurs, serait toujours semblable à la première. Il n'y a qu'une façon d'aller droit devant soi." (Pierre Mac Orlan)


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Message Publié : 24 Nov 2006 15:46 
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Plutarque
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Tout d'abord, si j'ai cité des exemples très contemporains, c'est avant tout par souci didactique, pour montrer que les scandales se multiplient aujourd'hui, ce qui pose très certainement la question d'une définition détournée. Mais je comptais faire tourner l'essentiel du débat sur les scandales de la IIIe République.

Je voudrais aussi revenir sur ceci :
Citer :
Le scandale n'est « républicain » que parce que la république en est un élément facilitateur:
Il se trouve que pour qu’il y ait scandale, il faut qu’il y ait une opinion publique et un relais de communication libre pour l’informer ; c’est pourquoi il aurait été intéressant de remonter beaucoup plus loin pour constater que le scandale n’est pas né avec la République, mais que ses manifestations étaient sporadiques parce que ces deux conditions n’étaient pas réunies (ex : la tour de Nesle, les rapports supposés de Mazarin et de la reine, l’affaire des poisons, Law, l’affaire du collier, etc...). C’est d’ailleurs pour les mêmes raisons que les dictatures du XXème siècle ne connaissent pas le scandale, du moins à l’intérieur de leurs frontières.

Je pense au contraire que le scandale est typiquement républicain, sur deux plans. D'abord, il coïncide avec la nature du régime politique. Ensuite, il colle à la République parce que la République en France est née à un moment précis de l'histoire de la civilisation française.

Sur le premier plan, tout d'abord. L'apparition de la République, du "gouvernement du peuple, par le peuple, et pour le peuple", pose la notion de contrat tacite, qui est une continuation du contrat monarchique mais qui en voit ses traits profondément modifiés. Le peuple (selon les natures du suffrage) confie ses intérêts à des gouvernants, dont il attend une satisfaction à un pourcentage invisiblement défini. En parallèle, l'apparition du vote fait naître la notion de "conscience politique". La République impose que les Français soient attentifs à la vie politique.

L'essor de la presse et de l'alphabétisation ont contribué, je pense, à donner corps à la conscience politique. Le scandale ne peut naître, comme il a été dit, que dans une population globalement lettrée et cultivée. D'où, souvent, la faible amplitude des scandales électoraux en Afrique. Non pas qu'ils n'existent pas ou qu'ils n'existent que par le regard des journalistes occidentaux, bien au contraire ! mais ils sont révélés au grand jour par une faible proportion de la population.

C'est pourquoi on ne peut vraiment parler de scandale sous le règne de Louis XIV. L'audience du scandale y est-elle vraiment nationale ? L'affaire des Poisons ne touche-t-il pas que les corridors de Versailles ? D'ailleurs, ce qu'on note, c'est qu'avant la République, c'est le pouvoir royal qui révèle le scandale. Et, les rares fois où le peuple se révolte, on ne peut parler de scandale, tout au plus d' "émotions", comme on disait alors : ainsi, les mazarinades ne sont pas l'expérience d'un scandale vécu, mais une révolte aux fondements visibles.

Ce qui caractérise le scandale, c'est le fossé entre le dit et le tu, le montré et le caché. Avoir conscience du mensonge public n'est pas chose aisée : cela met sur le devant de la scène la question de la clairvoyance et de la naïveté, donc de l'intelligence supposée des individus. Ce fossé ne peut apparaître que dans la mesure où le pouvoir central est narré, analysé, par des vecteurs de transmission vers l'opinion publique. Pour évaluer la largeur du fossé, il faut en connaître les deux rebords, soit, d'un côté, la conscience de l'appareil d'Etat et des relations de pouvoir, de l'autre, la conscience d'un corps constitué.

Le scandale revêt aussi une dimension psychologique : pour qu'il y ait scandale, ne faut-il pas qu'on prenne conscience d'un lèse collectif que l'on ressent individuellement ? C'est ce qui fait tout la difficulté de la notion, car l'appréhender nécessite de se tourner vers la psychologie et l'histoire des mentalités.

Au lieu de manifestations sporadiques du scandale avant l'ère de la République, je pense que les scandales sous la monarchie n'en sont pas, qu'ils sont plutôt des défections de conjuration, qui émeuvent des gens avertis (lettrés) mais qui n'ont presque aucun point commun avec les scandales de la République, sauf, peut-être, dans de rares cas, celui de ternir l'image du pouvoir central.

Quant à la tradition française du scandale, je ne souhaitais évidemment pas dire que le scandale est typiquement français : le scandale récent en Hongrie le dément implacablement. Je posais simplement la question de savoir s'il n'y avait une culture française du scandale, dont le charbon serait un vieux fonds de sempiternelle défiance vis-à-vis du pouvoir.

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 Sujet du message : Scandales.
Message Publié : 24 Nov 2006 17:22 
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Eginhard
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dédé a écrit :
Le sang contaminé, décès d'un grand nombre de personnes suite à une mauvaise décision (de ne pas chauffer le sang) prise par des responsables.

Pensez-vous (vous tous) que les faits sont du même ordre?
Les jugez-vous tous scandaleux au même niveau (bien que le Scandale majuscule soit comparable)


Ils ne sont pas du même ordre, effectivement. Dans le cas du sang contaminé, il serait judicieux de parler de crime. Quand on est aux affaires, dans les plus hautes sphères, on ne joue pas avec la médecine quand on est pas médecin. Beaucoup de personnes pensent comme moi.
Et Garetta paya pour tout le monde.
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Message Publié : 24 Nov 2006 17:57 
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Citer :
Je pense au contraire que le scandale est typiquement républicain, sur deux plans. D'abord, il coïncide avec la nature du régime politique. Ensuite, il colle à la République parce que la République en France est née à un moment précis de l'histoire de la civilisation française.
[...]
C'est pourquoi on ne peut vraiment parler de scandale sous le règne de Louis XIV

J’avoue avoir du mal à saisir le rapport que vous établissez entre la nature même du « scandale » et celle du régime républicain.
Selon moi, cette confusion peut s’expliquer par la simultanéité de l’installation solide de la République, disons dans le dernier quart du XIXème siècle, et du passage d’une société « pré-médiatique » à une société médiatique.
Il y avait bel et bien des scandales sous Louis XIV, mais ils restaient localisés, effectivement, moins que vous ne semblez le penser cependant, et pas seulement dans les salons : certes, la marquise de Sévigné s’en fait longuement l’écho dans plusieurs lettres («On est dans une agitation, on envoie des nouvelles, on va dans les salons pour apprendre ») mais la foule énorme qui assiste à l’exécution de la Brinvillers devant Notre-Dame savait exactement pourquoi elle était là. Il y avait aussi à l’époque une forme d’auto-contrôle devant le scandaleux, ainsi la réaction de Colbert : «On entendit des choses trop exécrables pour être mises sur le papier ». Il manque ainsi à ces affaires pour devenir de vrais scandales une réponse massivement désapprobatrice de l’opinion que seule permet la démultiplication des moyens d’information.

Avec l’avènement de la presse de masse, dans le dernier quart du XIXème siècle, tout change, car le scandale devient un enjeu politique et des stratégies se mettent en place : il est amusant d’ailleurs de constater combien rapidement les hommes de pouvoir feront l’apprentissage de ces stratégies : aux cafouillages de l’affaire des décorations, d’ailleurs révélée justement par la presse (alors que toute la classe politique est éclaboussée, le principal responsable restera député et sera même réélu 2 fois...), succèdent entre autres le scandale de Panama, puis l’affaire des fiches, où l’on voit se préciser les stratégies des uns et des autres pour en obtenir des avantages par exemple électoraux.

Donc le scandale, ou plutôt l’ "affaire" semble dans ce cas naître avec la République. Mais c’est oublier qu’ailleurs aussi, en dehors de la République, la presse au même moment joue le même rôle, ainsi en Angleterre, la Pall Mall Gazette est le premier journal à se lancer dans l’investigation politique et les résultats sont immédiats : d’abord en révélant à l’opinion en 1885 l’ampleur de la prostitution enfantine à Londres, avec le prolongement en 1889 du « scandale du West End » qui compromet de nombreux Lords et députés dans un réseau de pédophilie. De même, les affaires de corruption minent la vie politique municipale de New York dans les années 1870-1880, et les journaux en sont des acteurs de premier plan.

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Message Publié : 24 Nov 2006 18:50 
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Plutarque
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Comme je l'ai dit, la République a défini les termes d'un contrat entre gouvernants et gouvernés qui n'existaient pas sous la monarchie. Les exemples de soulèvement populaires ont des causes bien définies : faim, fiscalité trop lourde. C'étaient les termes du contrat qui liaient le roi à son peuple. Avec la République, le contrat s'est assorti de clauses plus nombreuses, surtout parce que la population est devenue plus lettrée, plus informée. Surtout, elle a contribué à augmenter l'intérêt porté à la politique du fait même du suffrage (à plus forte raison avec le suffrage universel) : je suis peu convaincu que la majorité du royaume de Louis XIV était au fait ou souhaitait l'être des affaires de l'Etat. La République a fait entrer dans les corridors du pouvoir l'oeil inquisiteur du peuple qui, parce que le régime le consacre comme la source du pouvoir, veut avoir une certaine forme de contrôle.

Naturellement, l'essor des médias a été simultané et a également produit la possibilité du scandale. D'où plusieurs questions : si la République avait été proclamée au XIIIe siècle, aurait-il fallu attendre l'essor de la presse pour que le scandale apparaisse réellement ? Au contraire, si la République avait été proclamée quelques générations après l'essor de la presse, y'aurait-il eu des scandales en monarchie ? Il semble que l'un et l'autre fonctionnent ensemble : rappelons-nous que l'opinion publique s'organise peu après la mort de la Pompadour, autour d'un dénigrement du pouvoir royal.

Sur la question des foules qui se massent sur l'exécution de la Brinvillers, chose que je vous concède, j'ai du mal à y voir l'expression d'un scandale. Premièrement, comment y aurait-il pu avoir scandale puisqu'il ne me semble pas (je viens de relire un article de l'Histoire sur le sujet) que celle-ci ait jamais concerné la population. Or, pour qu'il y ait scandale, il faut que l'on se sente concerné : touché dans son "moi" intime, ou au nom de principes moraux universels. J'ai du mal à concevoir qu'on puisse être un vil fauteur de troubles qui cherche sans cesse la subversivité. :D Ensuite, il faut aussi détacher l'exécution du spectacle qu'elle constitue. Sous l'Ancien Régime, il est très fréquent que les révoltes paysannes soient aussi le prétextes à des farandoles (cf. Muchembled, Sociétés, cultures, et mentalités, dans la France moderne). L'exécution de la Brinvillers y échappe-t-elle ? Et, quand bien même la population savait qu'elle était une empoisonneuse, y avait-il vraiment scandale ? Comme vous l'avez dit, il manque le vecteur qui fait des faits un scandale, mais il manque aussi dans ces cas-ci un fait délictueux qui peut être perçu comme une atteinte au peuple.

Imaginons un instant que Louis XIV eût organisé une gigantesque ponction dans les silos du royaume pour s'acquitter de frais de guerre selon les clauses d'un traité de paix secret avec un ennemi une année après le grand hiver 1709-1710. Il y aurait eu là un terreau propice à l'explosion d'un gigantesque "scandale", le roi mettant en danger son peuple, qui vient de subir une hiver de vache maigre (pour ne pas dire hâve).

Vous citez fort justement des scandales en Grande-Bretagne (d'ailleurs, je ne les connaissais pas). On remarque deux choses : premièrement, il y a des formes de scandale qui sont peu politiques (celui de la prostitution enfantine). Il révèle un état de fait caché (qui explique les vagues d'émotion), mais il ne révèle pas des manoeuvres souterraines, cryptées, d'un Etat, dont la population n'est pas tenue au courant. Le scandale est ici plus moral que politique. Ensuite, on voit que ces scandales moraux peuvent toucher les hommes politiques et se teinter ensuite de la couleur du politique. Or, le scandale existe-t-il dans ces cas-là où y'a-t-il construction du scandale ? C'est un peu le même cas que ce que l'on a pu voir avec l'affaire Alègre, qui a compromis dans des affaires de moeurs l'ancien maire de Toulouse. Le scandale a éclaté, mais y'avait-il vraiment scandale ? Dans cet exemple précis, un élu était accusé de moeurs qualifiées à mots couverts de déviantes. Dans le cas que vous avez cité, des élus sont accusés de porter atteinte à la loi. Le scandale en est-il pour autant politique ? Certes, on pourrait dire que dans les termes implicites d'un contrat, les gouvernés souhaitent des gouvernants exemplaires, respectueux des lois qu'ils s'acharnent justement à faire respecter. Mais le scandale a-t-il des raisons d'éclater dans un Etat de droit viable, ou la justice punit les infractions ? Par exemple, dans l'affaire Stavisky, la dizaine d'acquittements dont Stavisky a bénéficié parce qu'il était introduit a rompu un certain cours de l'Etat de droit.

Votre contribution m'interroge sur deux points : tout d'abord, la franche démarcation de nature du scandale des deux côtés de la Manche. Ensuite, je me demande si le scandale en République française n'est pas une résurgence de ce que Kantorowicz appelait les "deux corps du roi". D'un côté, nous avons l'homme politique en tant que représentant de l'Etat, de l'autre l'homme, avec son corps, ses passions. Certains scandales partent de faits purement extérieurs aux affaires de l'Etat mais sont traités de telle sorte qu'ils rejaillissent sur le personnage public. La responsabilité de la presse est clairement en jeu, mais elle pose aussi la question de la distinction que chacun faire entre public et privé, et surtout du rapport entre la construction d'un mythe de l'homme providentiel. Au final, est-ce que le scandale n'est pas, en quelque sorte, l'aveu d'une sublimation de l'homme politique ?

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Message Publié : 27 Nov 2006 18:36 
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Philippe de Commines
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parce que je sentais bien, comme notre modérateur, qu'on risquait:
Citer :
une rapide dérive du débat...

j'ai dans un premier temps décidé de ne pas répondre à Pilayrou, qui écrivait:
Citer :
Dans le cas du sang contaminé, il serait judicieux de parler de crime. Quand on est aux affaires, dans les plus hautes sphères, on ne joue pas avec la médecine quand on est pas médecin. Beaucoup de personnes pensent comme moi.
Et Garetta paya pour tout le monde.
Paix à leurs âmes.

en réponse à mon propre message:
Citer :
Le sang contaminé, décès d'un grand nombre de personnes suite à une mauvaise décision (de ne pas chauffer le sang) prise par des responsables.

lui-même répondant au premier message du fil:
Citer :
dont chacun peut citer des exemples - qui seront souvent les mêmes : l'ARC, le sang contaminé, Clearstream, le Rainbow Warrior, etc. Mais déjà, en citant des exemples a priori, l'on se rend compte de l'extrême diversité des scandales contemporains.


Pardon pour cette cascade de citations, mais ça me semble important, et illustre bien la propagation d'un Scandale majuscule. (je précise que je n'ai aucun lien particulier avec le parti ou les personnes de ce parti mises en cause, dans le cas dont on parle ici):
Dans cette affaire, des responsables ont pris en conscience des décisions qui leur semblaient bonnes, et sur les conseils d'experts. Seul un de ces experts a été condamné.
Il me semble que monsieur Pilayrou illustre exactement ce que je "dénonce" comme création d'un scandale (qu'il qualifie même de crime) par la "vox populi":
- un grand nombre de victimes, ce qui révolte tout le monde, qu'il y ait ou non des coupables (et qu'on souhaite paix à l'âme des victime ne désigne pas automatiquement des coupables)
- la mise en cause de politiques, blanchis par la justice, mais toujours par nature coupables pour le bon peuple
- la vox populi a toujours par définition raison, "beaucoup de personnes pensnet comme moi". Je répondrais: "ne pensent pas plus que vous, hélas".
ceci dit pour répondre à Pilayrou.
Maintenant, du point de vue "vie du forum": un exemple est cité en ouverture: "le sang contaminé". L'auteur me signale que "ce n'est qu'un exemple". Soit. Mais c'est dit, et ou bien on enlève ces trois mots, car ne rentrant (peut-être) pas dans la limite fixée par le modérateur puisque mettant en cause à la fois des personnes en activité, et une décision de justice, ou bien on accepte que quelqu'un (moi en l'occurrence) émette des réserves sur le caractère "scandaleux" de cette affaire.

Histoire personnelle: un membre de ma famille très proche a été accusé à tort d'un acte odieux, son innocence a été reconnue, il a été complètement mis hors de cause par la justice et par l'accusateur qui a reconnu et expliqué son erreur, mais il nous reste ce soupçon de "scandale". Je réagirai toujours quand d'autres seront mis en cause de cette façon par la vox populi, constituée par 100 personnes ou de millions. Je n'ai pas forcément de sympathie politique pour Mr F... ou Mme D.., mais je leur ai écrit pour leur dire mon soutien après avoir lu beaucoup de choses sur cette affaire. On n'est pas obligé de hurler avec les loups.

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"La vie des hommes qui vont droit devant eux, renaitraient-ils dix fois en dix mondes meilleurs, serait toujours semblable à la première. Il n'y a qu'une façon d'aller droit devant soi." (Pierre Mac Orlan)


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Message Publié : 27 Nov 2006 18:40 
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Eginhard
Eginhard

Inscription : 09 Mai 2006 21:43
Message(s) : 717
Eh oui, il n'y a pas que la vérité qui blesse (pour rester au niveau du registre de la vox populi), il y aussi la calomnie. Elle peut même blesser à mort : Roger Salengro, Pierre Bérégovoy. :cry:

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« Le luxe [...] corrompt à la fois le riche et le pauvre, l’un par la possession, l’autre par la convoitise ; [...] il ôte à l’État tous ses citoyens pour les asservir les uns aux autres, et tous à l’opinion. »


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Message Publié : 27 Nov 2006 18:41 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines
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Inscription : 26 Déc 2005 21:13
Message(s) : 1829
Localisation : Metz
Restons avant 1989 et ne débordons pas dans la discussion politique (et encore moins dans la discussion de comptoir). Merci.

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«L'humanité est comme un paysan ivre à cheval: quand on la relève d'un côté, elle tombe de l'autre.»
(Martin Luther)


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Message Publié : 28 Nov 2006 21:20 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours
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Inscription : 01 Nov 2006 16:49
Message(s) : 545
Localisation : Triangle des bermudes
A mon avis, le scandale en République ne peut pas être dissocié de l'Ancien régime. La naissance du scandale a probablement plus à voir avec les mutations de la culture urbaine au XVIIe et XVIIIe siècle. L'affermissement des réseaux de communication, l'enseignement et la cour plétorique de Versailles constituaient aussi un excellent vecteur de l'information. Il ne faudrait surtout pas sous-estimer la rumeur.

La différence, je l'a situe sur le devoir de réponse des gouvernants à une inquiétude populaire produite par des choix politiques. Sous l'Ancien-Régime, l'absence de réponse à un manque de pain à Paris a conduit les femmes à Versailles, c'est un scandale d'Ancien Régime. Le scandale en majuscule doit être pour la démocratie le moyen le plus efficace de lutter contre la dictature, c'est le principe de la liberté d'expression. Le "scandale people" n'est rien d'autre qu'un vulgaire acharnement à dévier le peuple de la relation citoyen-gouvernant d'un système politique.

Enfin, le scandale est un moyen en République de percer l'abcès de haine lors des pics "révolutionnaires" ou de contestation. La politique se traîne dans la boue car le peuple veut des têtes.

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Liberté, Egalité, Fraternité


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