Je crois que la République vise tout simplement à aspirer ce que la monarchie peut receler d'unificateur pour une nation. Ce qui explique sans doute que les gouvernants occupent les bâtiments publics qui jadis étaient les lieux de la monarchie. Si on a fait quitter Versailles à l'Assemblée sous la IIIe, les présidents continuent à dormir dans l'ancien hôtel de la Pompadour, et rechignent fortement à vendre les "bijoux de famille". Si bien qu'aujourd'hui, quand les quelques urbanistes hardis osent, dans un plan d'intégration de la proche et lointaine banlieue, avancer une délocalisation de Matignon hors de Paris, on les prend vite pour des illuminés.
La République peut-elle se débarasser de ses chancres ? Je reste peu convaincu qu'un régime politique dont la légitimité est fondée sur l'élection soit le régime le plus stable possible. Dès lors qu'un individu se rend compte que la majorité a effacé son choix, qu'il ne se reconnaît pas dans un gouvernant qui eût pu être autre, y'a-t-il cohésion ? A l'inverse, la monarchie, par ce qu'elle comporte d'imposé, de verticalité, anéantit la notion de choix. La tautologie est salvatrice : le roi est roi parce qu'il est roi. Songe-t-on pour autant à remettre en cause sa légitimité ? Du moment que le roi s'acquitte de sa clause dans le contrat tacite qui le lie au peuple (à savoir : le nourrir), il ne me semble pas qu'il soit l'objet de remises en question.
Toutefois, difficile de comparer objectivement les nations. Certes, le régime politique anglais comporte les petits ajustements qui manquent au système français (pas de télescopage de l'exécutif, chef de l'Etat réduit à un rôle d'influence et d'autorité morale), mais la transposition des modèles me paraît difficile. Ce qui me paraît encore plus difficile est le retour à une monarchie. Et encore, difficile est un euphémisme.
La France condamnée à être républicaine ? Difficile de répondre. Condamnée de fait, oui, pour les raisons susdites. Mais il ne me semble pas que la France se désole d'être républicaine : pour qu'aujourd'hui la droite ait fait sienne la République, et parfois plus que la gauche, comme on peut le voir sur la question de laïcité et du voile, c'est que la République est fermement ancrée.
Ensuite, il y a je pense une distinction fondamentale entre un "intérêt désintéressé" porté à la monarchie et un intérêt politiquement orienté. A mon avis, si nous nous intéressons autant à l'histoire de nos rois, et à tout ce qui en découle, c'est avant tout par la haute idée de lui-même et de son pays que le Français moyen a (si si !
). Patrimoine artistique, immobilier, mobilier... tous les chemins mènent à la monarchie. Elle devient une vitrine identitaire sur l'histoire et sur le monde. D'un côté, l'histoire permet de savoir qui nous sommes ; de l'autre, le monde permet d'exprimer ce que nous sommes. L'intérêt est donc désintéressé pour moi, et il est à relier avec l'engouement qu'ont les Français pour la généalogie.
Un intérêt politique, nostalgique, j'y crois déjà moins. De toute façon, si les gouvernants et les juristes cherchaient de ce côté la clé qui permettrait d'obtenir un régime politique plus stable, ils se fourvoieraient. Le régime souffre-t-il vraiment de maux constitutionnels et institutionnels ? J'y crois peu. Il s'agit avant tout d'un problème de définition du "contrat" qui lie gouvernants et gouvernés. Mais c'est un autre sujet.