Deshays Yves-Marie a écrit :
J'espère que vos arguments ne sont pas tirés du film Amadeus
C'est la seconde fois que vous tentez de me rabaisser en me faisant passer pour quelqu'un qui avalerait n'importe quelle vessie. Je n'avais aucunement ce film en tête. Je pensais plus à des choses entendues ou lues par ailleurs. ENtre autres des témoignages que j'ai entendu il y a peu sur France-Inter sur l'époque ou Berlioz était critique musical. Et Rapentat est plutôt d'accord avec mes objections et moi, je suis et j'étais déjà d'accord avec ce qu'il dit.
Il y a 2 choses qui ne me plaisent vraiment pas en histoire, d'un coté ceux qui racontent que les Temps Anciens étaient merveilleux de vrais pays de cocagne habités par des esprits ouverts et très intelligents. De l'autre, ceux qui pensent que nos ancêtres sont tous des ignares et des imbéciles et que l'on n'est intelligents que depuis ... 50, 100, 200, voire éventuellement 300 ans.
Les 2 ont une vision erronées de l'histoire, mais surtout des hommes qui l'ont faite. L'humanité évolue très lentement et par bien des points nous sommes très proches de nos ancêtres cro-magnons : ni plus intelligents, ni moins. Nous sommes beaucoup plus nombreux, ce qui fait que dans bien des domaines, il y a plus de pratiquants vivants qu'il n'y en a eu depuis le début des temps. Et oui, il y a sûrement plus de musiciens vivants qu'il n'y a eu de musiciens sur les 800 siècles qui ont précédés celui-ci. D'un autre coté, nous sommes comme des nains juchés sur des épaules de géants, les géants étant nos prédécesseurs qui accumulèrent la masse immense de connaissances sur lesquelles nous nous appuyons pour progresser.
Ma mère disait : "Il mondo e paese", ce qui veut dire que tout le monde est un même pays (pays dans le sens que lui donne Braudel quand il dit que la France est constituée de 450 pays). Moi, je dirais que c'est vrai aussi de tous temps. Nous faisons partie de la même humanité que nos ancêtres et nous en avons les mêmes travers et les mêmes qualités.
Je laisserai le mot de la fin à Berlioz avec un petit extrait d'un de ses ouvrages:
Citer :
L'art musical est sans contredit celui de tous les arts qui fait naitre les passions les plus étranges, les ambitions les plus saugrenues, je dirais même les monomanies les plus caractèrisées. Parmi les malades enfermés dans les maisons de santé, ceux qui se croient Neptune ou Jupiter sont aisément reconnus pour monomanes; mais il en est beaucoup d'autres jouissant d'une entière liberté, dont les parents n'ont jamais songé à recourir pour eux aux soins de la science phrénologique, et dont la folie pourtant est évidente. La musique leur a détraqué le cerveau. Je m'abstiendrai de parler à ce sujet des hommes de lettres, qui écrivent, soit en vers, soit en prose sur des questions de théorie musicale dont ils n'ont pas la connaissance la plus élémentaire, en employant des mots dont ils ne comprennent pas le sens; qui se passionnent de sang-froid pour d'anciens maîtres dont ils n'ont jamais entendu une note; qui leur attribuent généreusement des idées mélodiques et expressives que ces maitres n'ont jamais eues, puisque la mélodie et l'expression n'existaient pas à l'époque où ils vécurent; qui admirent en bloc, avec la même effusion de coeur, deux morceaux signés du même nom, dont l'un est beau en effet quand l'autre est absurbe;qui disent et écrivent enfin ces étonnantes bouffonneries que pas un musicien ne peut entendre citer sans rire. C'est convenu, chacun a le droit de parler et d'écrire sur la musique; c'est un art banal et fait pour tout le monde; la phrase est consacrée.Pourtant, entre nous, cet aphorisme pourrait bien être l'expression d'un préjugé. Si l'art musical est à la fois un art et une science; si, pour le posséder à fond, il faut des études complexes et assez longues; si, pour ressentir les émotions qu'il procure, il faut avoir l'esprit cultivé et le sens de l'ouïe exercé; si, pour juger de la valeur des œuvres musicales, il faut posséder en outre une mémoire meublée afin de pouvoir établir des comparaisons, connaitre enfin beaucoup de choses qu'on ignore nécessairement quand on ne les a pas apprises; il est évident que les gens qui s'attribuent le droit de divaguer à propos de la musique sans le savoir, et qui se garderaient pourtant d'émettre leur opinion sur l'architecture, sur la statuaire, ou pour tout autre art à eux étranger, sont dans le cas de monomanie. Ils se croient musiciens, comme les autres monomanes dont je parlais tout à l'heure se croient Neptune ou Jupiter. Il n'y a pas la moindre différence.
Voilà ce qu'écrit Berlioz en introduction aux Grotesques de la musique. Aurait-il besoin d'écrire cela dans un monde ou, je cite vos mots,
Citer :
L'éducation (tant générale qu'artistique) des jeunes princes, ainsi que l'émulation entre les différentes cours, maintenaient les critères du bon goût à un très haut niveau aussi bien du côté des "patrons" que des artistes.
Le succès d'une œuvre ou d'un artiste ne dépendait pas de l'opinion publique, mais d'un petit groupe de connaisseurs : mille imbéciles qui répètent une bêtise n'en font pas une vérité!
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1030683.r=berlioz.langFRLes propos de Berlioz sont outranciers, je vous l'accorde, mais il dénonce bien des gens qui se permettent de juger de la musique sans en posséder les rudiments permettant de la comprendre. Je suis un peu l'opposé de Berlioz en ce domaine, puisque je pense que dans le cœur de tout un chacun il y a la place pour apprécier le beau. Même si tous n'apprécient pas le même "beau" que moi, je ne considère pas pour autant que ce sont des imbéciles ou des ignares. Chacun est libre d'aimer ce qui lui plait.