Il est assez difficile de dater une habitation paysanne, dans la mesure où, comme cela a été signalé avant, les gens d'autrefois "réutilisaient" beaucoup. La partie la plus ancienne d'une habitation, le plus souvent, c'est la cave (quand il y en a une, car le terrain ne rend pas toujours sa présence possible).
Parfois, cependant, on a un peu plus de chances, grâce à la recherche documentaire. Exemple : la ferme de la Perdrière à Mesland (41) - qui est actuellement en vente, d'ailleurs. C'est une bâtisse tout à fait insolite compte-tenu du secteur, avec un toit "à la scandinave" (et une charpente ! Mmm ! Un vrai bijou !). Pas du tout le genre de la région. Deux versions ont coexisté. La légende, selon laquelle ce serait les Vikings qui l'auraient construite lors des invasions du IXe siècle. Et la réalité : elle est l’œuvre de maçons hollandais, qui ont participé à divers chantiers dans le secteur à la fin du XVIIe siècle. C'est évidemment la seconde version qui est la bonne, d'autant plus qu'on retrouve quelques traces de ces hommes dans les registres paroissiaux et autres sources de la même époque.
Pour les autres, il faut prudence et raison garder, mais ne pas hésiter à mener une enquête approfondie avec les ressources disponibles, en commençant par la généalogie foncière des lieux, soit en remontant directement les actes de notaire si on a la chance de posséder le plus récent, soit en utilisant les différents cadastres et les matrices cadastrales disponibles aux archives départementales du département concerné. La seconde option est assez laborieuse, aussi ne faut-il pas hésiter à se faire aider par le personnel présent (à condition d'avoir prévenu auparavant de sa venue, de la nature de sa recherche et de son besoin d'un coup de main). La dernière fois que j'ai mené une enquête de ce genre (ça remonte au mois de décembre dernier), j'ai, grâce à la personne qui m'a prise en charge, mis moins d'une demi-journée à faire ce que je prévoyais de faire en une journée entière toute seule (et encore, je ne suis pas sûre que j'aurais obtenu autant de résultats). De cette façon, on arrive assez facilement jusqu'à la Révolution (pour les bâtiments anciens). Ensuite, il faut s'atteler à un travail de fourmi via les actes notariés... L'intérêt de cette recherche, ce sont les descriptions dans tout ces actes. On voit l'évolution à travers le temps, les ajouts, les reconstructions.. éventuellement les destructions aussi, notamment sur le XXe siècle. C'est évidemment plus facile lorsqu'il s'agit d'une habitation ou d'un groupe de bâtiments dans un lieu-dit que d'une maison dans un bourg.
Parfois, on peut avoir de la chance : dans mon département, il y a eu aux Archives départementales dans les années 90, une indexation systématique des ressources figurant dans les séries F, G et H. Il suffit d'ouvrir un classeur au rayon des inventaires et de chercher un nom (de lieu ou de personne) dans la liste, qui renvoie à des cotes. Un jour, en regardant si le nom de la ferme de mes grands-parents y figuraient, j'ai eu la bonne surprise de l'y trouver et j'ai exhumé des profondeurs une série de sept parchemins issus de la série H (clergé régulier) qui mentionnaient les démêlés des religieuses d'une abbaye peu éloignée avec les métayers des environs. Grâce à ces parchemins, je sais que la ferme existait déjà en 1520 (j'ai même une description), mais à mon sens, il faut rester prudent quant aux bâtiments. J'ai ensuite procédé à une généalogie foncière classique, sans avoir besoin de passer par les matrices. Tout ce dont je peux être sûre, c'est que les anciens bâtiments que j'ai connu (la maison où habitaient mes arrière-grands-parents et un autre bâtiment derrière) existaient déjà en 1818, époque à laquelle a été dressé le cadastre napoléonien pour cette commune. Avaient-ils exactement la même allure ? J'ai des doutes car les quelques photos que je possède montrent, pour la maison d'habitation, des encadrements de portes et de fenêtres plutôt typiques de la fin du XIXe. Mais ils existaient avec, probablement, les divisions intérieures que j'ai connues. Avant cela, j'ai des descriptions... mais difficile de s'y retrouver. Aujourd'hui, la seule chose du cadastre napoléonien qui subsiste encore, c'est la fosse rectangulaire située un peu à l'ouest.
La dendro est, effectivement, un bon moyen de dater le bois utilisé... avec les réserves qui s'imposent quant à la réutilisation des matériaux (et puis ça coûte cher...). Pareil pour les autres matériaux de construction : j'ai l'exemple d'une église située dans ce qui est actuellement un lieu-dit qui a brûlé vers la fin du XVIIIe siècle. Le seigneur du lieu, qui répugnait à crotter ses chausses dans la boue des chemins, en a fait reconstruire une autre dans ce qui était un hameau où se situait son château et qui, du même coup, est devenu peu de temps après (c'était à la veille de la Révolution), la commune officielle. L'ancienne église en ruine a été démolie par les paysans des environs qui ont réutilisé les pierres pour leurs maisons. Tout ce qu'il en subsiste, c'est un chapiteau sculpté retrouvé dans les années 70/80. De même, en Bretagne, on réutilisait le bois des épaves que la mer rejetait sur les plages pour les portes des maisons, voire l'ameublement intérieur.
C'est une quête complexe, que l'histoire des constructions paysannes, mais bigrement passionnante.
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