Ces autres lieux qui ont fait la France, François-Guillaume Lorrain , Fayard, 2021, 336 p., 20 E.

La pérégrination à travers la France pour connaître ses hauts lieux est une histoire-géo fortifiante, un tourisme patrimonial, un vide-greniers à surprises ou un musée idéal. C'est, surtout, l'outre-tombe à vue de nez, des racines et des ailes comme à la télé, une moisson à la Flaubert de senteurs fortes « par les champs et par les grèves ». Pèlerin ou non, actif ou retraité, érudit ou curieux, chacun confesse un jour, s'il aime l'histoire vivante, qu'il a fait ou fera, comme dit Sylvain Venayre, la « balade nationale », à pied, en rêve et même en BD (voir son livre publié avec Étienne Davodeau chez La Découverte, en 2017). Il y a certes une manière savante et plus flegmatique d'entreprendre celle-ci, avec des guides diplômés : c'est ce qu'ont fait récemment, après Pierre Nora, Olivier Wieviorka et Michel Winock (Les Lieux de l'histoire de France, Perrin, 2017). Mais avec François-Guillaume Lorrain, un agrégé devenu journaliste au Point, voici une autre chanson.

En 2015, dans un premier volume, réédité aujourd'hui en poche (Pluriel), il a expérimenté son histoire vagabonde où un paysage et ses recoins, un abandon ou un replâtrage parlent mieux qu'un livre ; où « l'envie démange de mener l'enquête, de renifler les traces », de « se servir du lieu présent, de s'y confronter, pour remonter le temps ». Il a su, c'est son métier, rencontrer « des gens du cru, des témoins, des anciens, des élus, des bénévoles, des spécialistes, des passionnés », qui portent eux aussi sur leurs épaules l'histoire nationale et l'aident à traverser le temps. Depuis Verdun, il a parcouru Bouvines, Domrémy, Valmy, Rethondes et même Clochemerle en Beaujolais, en mesurant partout les enjeux de mémoire ; il a salué les fourneaux éteints de Decazeville, repéré un bunker de Hitler et débroussaillé le château des Tuileries brûlé en 1871 et réinstallé en Corse.

Le nouveau volume détaille des balades tout aussi surprenantes et instructives. Elles racontent les retournements mémoriels de Nantes, la gêne de Bordeaux d'avoir été capitale en 1870, 1914 et 1940, le no man's land du débarquement de Provence de 1944, le camp de Pithiviers, Illiers-Combray où personne ne lit Proust. Elles trouvent du neuf aussi : par exemple, les ambiguïtés du site et de la prison de Clairvaux, la sanglante virée de Galerne des Vendéens en 1793, le « séminaire des barbelés » de l'abbé Stock dans un hangar d'aviation près de Chartres, les déportés en gare de Novéant-sur-Moselle et la sage maison de Robert Schuman, le gommage des accords de 1962 à Évian ou la résistance de Roissy-en-France face à l'arrivée du « monstre aérien ».

On attend un troisième volume après celui-ci, pour retrouver avec le même plaisir cette « nation complexe, paradoxale, résultat de nombreux retournements et réécritures », et ces balades qui « tissent une toile chamarrée de notre pays ».