Harald a écrit :
Les transferts de populations étaient souvent précédés par le regroupement forcé des individus à expulser. Certains camps nazis, comme Majdanek ou Auschwitz, furent même réutilisés. C'est le chapitre 5 de l'ouvrage de Douglas).
Douglas écrit : « Une caractéristique notable du système des camps d’après-guerre est l’importance des agressions sexuelles ainsi que des humiliations et punitions sexuelles ritualisées qui étaient infligées aux détenues. »
Le poids porté par les femmes allemandes dans le malheur puis la reconstruction est tout simplement hallucinant, et force l'admiration.
Je doute que les camps de concentration aient pu servir de camps de regroupement, ou de transit, pour les expulsions : cela représente bien trop de monde à expulser, et les camps n'avaient pas été prévus pour ça. (Non, ils sont restés ce qu'ils étaient : des camps de répression où les détenus étaient maltraités.) Il a pu y avoir aussi le maintien en fonction de camps de travail, où ont été retenus les ingénieurs et techniciens allemands dont les compétences étaient jugées nécessaire au pays, et qui y restèrent quelques années avec un statut de travailleur forcé, avant qu'eux aussi puissent gagner l'Allemagne. (Ou même s'intégrer sur place, tout a existé !)
Autrement, l'article que vous citez est très intéressant, et décrit bien les différentes phases qui vont conduire au départ des Allemands : c'est bien ce que je pensais, "die Flucht" c'est la fuite, pendant la guerre, des civils allemands devant les exactions de l'Armée Rouge.
(J'y rajouterais volontiers une "phase zéro" qui a été l'assassinat pur et simple des civils par les Russes, spécialement en Prusse orientale et dans les enclaves de la Baltique. Au moment de l'arrivée de l'Armée Rouge dans ces régions d'Allemagne, il y a eu un moment ou la hiérarchie a tout simplement perdu le contrôle de son armée : les Frontovikis, à qui on avait tant prêché la vengeance, ne dessoulaient plus et multipliaient les exactions et les meurtres, au point que leurs officiers - quand ils n'y participaient pas - n'osaient plus donner des ordres pour rétablir la discipline. Non seulement les soldats se vengeaient, par conviction et pour en finir "avec la bête nazie", mais ils avaient été pris d'une fureur supplémentaire en constatant le confort dont disposaient les maisons et immeubles de leurs ennemis : comment des gens aussi riches avaient-ils pu envahir leurs villages déshérités ?
Un résultat inattendu de ces massacres est le phénomène des "enfants-loups", des gamins allemands restant seuls survivants de leur secteur et qui se nourrissaient de chapardage. Deux liens sur ce sujet :
https://www.politische-bildung-brandenburg.de/publikationen/pdf/wolfskinder.pdfhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Enfant-loup_(Seconde_Guerre_mondiale)Elle décrit ensuite deux phases, les expulsions anarchiques, puis, sur une décision prise à Yalta, l'expulsion systématique des Allemands qui vivaient en dehors d'Allemagne, et jusqu'à la lointaine Roumanie, où ils étaient installés depuis le Moyen-Âge et ne posaient pas spécialement problème. "Expulsion systématique planifiée" ne signifie d'ailleurs en rien "expulsion organisée" : l'objectif est simplement de jeter les Allemands par la frontière, "l'intendance suivra" ! (De fait une partie de ces expulsions planifiées s'accomplit par des transports organisés, mais il faut voir dans quelles conditions : alors que l'hiver 45 avait été assez doux à Berlin - il pleuvait - ce qui permit d'éviter une tragédie de la faim et du froid dans les ruines, l'hiver 46 fut glacial. A Berlin, on avait sans illusion creusé des fosses communes avant que le gel empêche de le faire : non seulement la ville crevait de faim (la "fraternisation" interdite au départ par les autorités militaires occidentales était devenue systématique chez les soldats, sous toutes les formes, chacun avait sa "Gretchen" - la prostitution, en prime, atteignant des niveaux jamais vus - et cela permettait d'obtenir les calories qui maintenaient les gens en vie. Non seulement la ville crevait de faim, mais au début des expulsions planifiées, elle recevait 30 000 réfugiés allemands par jour, que les services de l'armée américaine (et de structures comme la Croix Rouge ou l'Armée du Salut) avaient le plus grand mal à nourrir - et soigner ! - avant de les dispatcher dans l'ouest d'une Allemagne déjà surpeuplée. (C'est paradoxal, alors que la guerre avait tué 6 millions d'Allemands, je crois, et que 11 millions d'hommes étaient prisonniers, l'Allemagne dans ses frontières rétrécies, où étaient déjà arrivés les civils en fuite pendant la guerre, débordait, et d'autant plus que les villes avaient été clochardisées par les bombardements stratégiques.)
Les premiers réfugiés de ce mouvement de population massif sont peut-être les plus maltraités, parce qu'il s'agit des "Volksdeutsche" des Sudètes, que les Tchèques avaient appris à haïr et qui allaient payer cher les revendications nazies à la supériorité raciale. Dans les trains qui arrivent à Berlin, les soldats relèvent des blessés, des malades, des femmes et même des très jeunes filles victimes de viols à répétition. Benès interrogé par des journalistes américains concédera qu'il a pu y avoir "quelques excès malheureux" mais minimise le phénomène.
On a vu qu'il en sera de même pour les "Allemands de Pologne" (soyons juste, il y avait déjà des Allemands en Pologne avant la guerre, ne serait-ce qu'à Dantzig) et en fait pratiquement pour tous les expulsés.
Intéressant tout de même qu'un phénomène aussi considérable ait pu passer inaperçu. Mais l'Europe dévastée avait bien d'autres soucis, et les journaux parisiens ou londoniens étaient bien trop occupés à dénoncer les "avantages" accordés aux Allemands (de fait il avait fallu détourner une part de l'aide alimentaire américaine vers des zones ou les rations journalières étaient en dessous de la survie) pour relever - par exemple - qu'à Berlin mourraient 6 nouveaux nés sur 10.
J'ai déjà dit que pour mes amis allemands la seconde guerre mondiale n'est pas un sujet. Difficile de trouver quelque chose qui les intéresse moins ! Le système scolaire des années 60 a fait son travail, et ils savent tout sur le racisme nazi et le système concentrationnaire. Quand aux souffrances de l'Allemagne, je crois que le rideau a été tiré par leurs parents parce qu'il fallait vivre, reconstruire, et que la page a été tournée. (Comme j'aurais aimé en discuter avec leurs parents... mais bon, c'est ainsi.)
Au passage, je crois qu'on sous-estime l'impact du soutien allié face à la pression russe (je parle du blocus de Berlin et du splendide mot de kennedy à Berlin) et peut-être plus encore de la réconciliation officielle mise en mots par De Gaulle. Elle valait absolution. Mais j'aimerais avoir le ressenti de Jean-Marc (et d'autres) sur ce sujet.