C'est à dire que l'ouvrage de Catherine Vincent est un peu vague, ce qui est logique ne s'agissant que d'une introduction au Moyen Age.
Néanmoins je ne comprends pas pourquoi vous considérez que la mobilité est à ce point limité. Il y avait de nombreux hommes libres, qui n'étaient pas vassaux, ni serfs. Rien ne les empêchait de bouger, et même loin. Les marchands en sont évidemment l'exemple plus visible: ils se déplaçaient de marché en marché à travers toute l'Europe.
Songeons aussi aux chartes de hôtises. Par ces chartes, un seigneur établissait des hommes en des lieux afin de les mettre en valeur, en particulier au cours des XI-XII siècles. Or il est douteux que ces hommes provenaient des possessions du seigneur même, lequel aurait ainsi dû dégarnir sa réserve ou ses tenures. Il est plus probable que ces hommes se déplaçaient (peut-être en fuite, peut-être par simple recherche de terres accueillantes), et qu'ils étaient serfs ou libres.
En effet, les serfs aussi bougeaient. Contrairement à ce que quelqu'un a dit ici, ils n'étaient pas "attachés à la terre" (c'est un vieux mythe mis en lumière par Marc Bloch). Par contre ils étaient attachés à leur seigneur. Mais il arrivait par exemple qu'un homme attaché par le servage à un seigneur, travaillait sur la tenure libre d'un autre seigneur... Surtout il apparait que des accords existaient entre certains seigneurs pour empêcher que l'un d'entre eux n'accepte les serfs d'un autre. Cela, bien plus qu'il n'indique une stabilité contraignate (sinon en droit, et QUE pour les serfs), montre que les déplacements (et les fuites) devaient intervenir fréquemment.
Il y a une chose encore à dire sur les serfs. Il est faux d'assimiler le servage à la paysannerie. Tout d'abord tous les serfs n'étaient pas des paysans, ni tous les paysans n'étaient des serfs. Cette idée est tributaire de l'ancienne conception tripartite de la société (Adalbéron de Laon). Selon cette "idéologie sociale" la société était divisée en trois ordres: les paysans (serfs), les chevaliers (vassaux, donc libres), les clercs. Plus personne ne croit aujourd'hui à une société de tel type. En effet, il y a toujours eu de nombreux paysans libres. Inversement il faut savoir que les serfs du XI-XII étaient des serfs un peu particuliers. Il semblerait que la "masse paysanne servile" n'existait plus, à ce moment, ou en tout cas était très réduite. En réalité la plupart des serfs étaient des ministériaux. Ceux-ci étaient des agents seigneuriaux qui remplissaient différentes charges au sein de la seigneurie: ces serfs étaient des sergents à cheval (simples cavaliers), des cuisiniers, des maçons, des maires, des forgerons, etc... Le problème pour les seigneurs était de disposer d'une "administration" fiable, et c'est pourquoi ils préféraient que leurs administrateurs fussent de statut servile: cela permettait de les controler mieux. Mais contrairement à la "vulgate", ces serfs étaient loin d'être des humbles soumis. Ils étaient même relativement puissants, dans certains cas, et il y avait de nombreux conflits entre ces serfs et leurs seigneurs, lorsque par exemple les premiers tentaient de s'approprier les terres des deuxièmes dont ils avaient la charge en tant que maires par exemple.
Par conséquent le servage des XI-XII (contrairement au servage carolingien) ne ressemble en rien à l'image qu'on s'en fait traditionnellement: il concernait essentiellement des hommes d'un certain statut (souvent le serf du seigneur commandait à des paysans libres ce qui constituait un paradoxe). Tant il est vrai que à la moitié du XII siècle, lorsque la noblesse se constituait en "caste" fermée, de nombreux ministériaux serfs ont été affranchis et sont entrés directement dans la petite noblesse.
Encore un mot sur la bourgeoisie:
Citer :
Les bourgeois (habitant les bourgs francs, donc en gros les villes) étaient des hommes libre. Plus encore, tout serf qui partait s'établir dans une ville devenait un homme libre (et le seigneur n'avait pas le droit de le retenir. en revanche, le seigneur conservait la maison de l'ex-serf). D'où l'expression: "l'air de la ville rend libre."
Ca c'est n'importe quoi. Les bourgs francs ne sont pas "en gros les villes". Les bourgs sont mis en places précisément par les seigneurs dans leur seigneurie, avec des chartes de fondations. Les villes existaient bien avant, et ce n'est que plus tard qu'elle sont assimilées aux bourgs, par "nivellement" des statuts.
En effet les villes mêmes ne sont pas automatiquement libres. La ville est souvent partagée entre plusieurs seigneurs, et les habitants en sont parfois les serfs. Avec la mise en place des communes, certaines villes parvinrent par des chartes de franchises précisément à s'en affranchir, mais ce fut assez rare dans le royaume de France (Laon en est l'exemple plus célèbre).
--Keikoz