En premier lieu, cette notion de décadence est tout bonnement un lieu commun historiographique et n'a aucune réalité tangible. Sur quoi fonder cette prétendue décadence? Dans les arts comme cela a longtemps été proclamé, simplement parce que les romain passent du réalisme grec à un art plus figuratif et plus en rapport avec les mentalité du temps? Économique, alors que même au Ve siècle des trésors d'une richesse inouïe continue à fleurir dans l'Empire sans doute plus qu'au IIIe siècle? Militaire parce que les barbares ont franchi le fameux limes, mais ici je pense qu'il s'agit de compléter vraiment cette interprétation des choses. En effet, l'Empire subit une défaite d'un importance capitale dans son histoire, celle d'Andrinople en 378 et qui voit les Goths être libre de toute entraves dans l'Empire depuis leur pénétration de 376, en accord avec le pouvoir de l'époque. Cet évènement est un problème avant tout romain, car ce n'était pas la première fois qu'ils installaient des populations barbares sur les terres de l'Empire, mais ici c'est un des rares cas d'intégration manqué. Pourquoi? A cause du mépris des barbares et de la famine qu'ils firent s'installer dans leurs camps. De là la révolte. Mais attention, le problème pour les Romains n'était pas la défaite en elle même, (qui aurait pu être évité ; Valens engage l'ennemi sans attendre les renfort occidentaux commandé par Gratien et en plus son armée lance l'attaque sans qu'il en ai donné l'ordre) et la perte de quelques milliers de soldats (on se souvient du carnage de Mursa en 351 qui ne précipite pas pour autant la chute de l'Empire), c'est que désormais il y a une entité politique indépendante en territoire romain avec laquelle il va falloir compter. Vaincus par Théodose et amenés à traiter les Goths se lient, à la manière germanique, à une personnalité et lui restent fidèle. Néanmoins l'accord est caduc à sa mort, d'où l'agitation des Goths et la défense héroïque de Stilicon de la péninsule italienne. On connait la suite. Les Romains délèguent de plus en plus leur défense à des peuples entiers par un traité nommé feodus, mais qu'ils ne peuvent plus vraiment faire respecter car l'armée romaine en temps que telle disparait progressivement devant la nouvelle fausse bonne solution, à savoir laisser les barbares fidèles se massacrer avec les barbares extérieurs. Mauvaise idée parce que certains commencent à avoir des visée bien différentes de celle du pouvoir impérial ce qui amène à la disparition politique de l'Empire d'occident. L'Orient subsiste en envoyant littéralement des peuples vers l'occident et en recentrant le recrutement dans le maillage d'une armée romaine et non simplement par délégation. Car temps que les Romains ont préservé l'institution gigantesque qu'était l'armée, les barbares, fondus dans un système hiérarchisé, devenaient d'excellents auxiliaires de la défense de l'Empire, souvent d'une compétence et d'une fidélité à toute épreuve. Mais justement, nous arrivons à un point capital et parallèle ; la question des Grands commandants. L'Empire est dirigé par un chef au pouvoir absolu mais très fragile, dépendant de la Fortune et de la Gloire et s'il perd ces attributs il devient un parasite à éliminer (selon les mots de Paul Veyne). Chaque grand commandant, revêtu de l'imperium fait un prétendant légitime au trône, dans un Empire ou les droits de succession est libre. De ce fait un empereur essaie de s'arroger la gloire des campagnes militaire et des chefs trop ambitieux sont soit rappelés (Corbulon, Agricola), soit cassés (Ursicin), soit assassinés (Aetius). Je mets volontairement des exemples de chaque époque pour montrer combien le problème est récurant. Il est fondamental parce que souvent l'Empire se prive d'excellent chefs de guerre afin de préserver sa stabilité politique ce qui désorganise la défense. La Gaule avant l'arrivée de Julien est en grande difficulté devant les Alamans. Le nouveau César règle le problème avec la même armée que celle qui a laissé l'ennemi pénétrer la frontière, simplement en reprenant l'initiative et grâce à ses qualités de chef de guerre. La solution échappe d'ailleurs au chroniqueur tardif Zosime qui pense qu'il a forcément fallu procéder à des levées en masse pour atteindre de tels résultats, alors qu'en réalité, Ammien Marcellin, un contemporain, ne nous en informe nullement... Cela prouve que ce problème échappe à un homme du VIe siècle... Le constat est semble-t-il un peu plus clair ; nous ne voyons dans l'Antiquité tardive qu'un lent déclin, parce que nous connaissons la finalité de l'histoire et le tragique dénouement d'une épopée forgée plus d'un millénaire auparavant. Mais les problèmes structurels de l'Empire auraient pu sans doute être surmontés si une personnalité comme Octave avait surgi. Qu'en aurait-il été si Julien avait régné plus longtemps? Beaucoup de questions ornent les uchronies que nous pouvons dresser sur cette histoire palpitante, mais le constat est là et l'Empire romain a disparut malgré ses rêves d'éternité. Loin de la lente décadence amorcée soit-disant dès Marc Aurèle, l'Empire connait des temps fort et des temps faibles. Il aurait pu disparaitre de très nombreuses fois et notamment lorsque Hannibal campe au pied de Rome, mais c'est au Ve siècle que son histoire (occidentale!) s'achève. Mais si le chef punique avait détruit la cité aurions nous vu dans le IIIe siècle av. J.-C. la ruine inévitable du jeune Empire?
_________________ Scribant reliqua potiores, aetate doctrinisque florentes. quos id, si libuerit, adgressuros, procudere linguas ad maiores moneo stilos. Amm. XXXI, 16, 9.
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