De cités aussi puissantes que Tarente, Corcyre, Corinthe ou Argos furent démocratiques à un moment ou à un autre ; pour les cités de la Ligue de Délos, il s’agit pour ainsi dire d’une obligation, et le bras de fer entre Athènes et Sparte prend souvent l’aspect d’une lutte entre oligarques et démocrates pour les cités sujettes de l’une ou de l’autre, le passage d’un camp à l’autre se traduisant par une révolution politique. Par contre, je renie pour ma part complètement l’assimilation de la république romaine à une démocratie : soyons sérieux, les pauvres n’ont aucun pouvoir politique et ne sont jamais appelés à voter (le système centuriate est une arnaque…), encore moins à participer à l’administration de l’état ; leur seul participation politique se fait par la violence, mais instrumentalisée par d’autres : le populisme de certains aristocrates (qu’ils soient plébéiens ou patriciens) ne fait pas pour autant du régime une démocratie.
Concernant l’effacement de ce système, il me semble que ce soit plus complexe, et que les évolutions de l’époque hellénistique sont très peu favorables au maintien de telles institutions. En fait, elles possèdent en elles les germes de leur déclin ; j’en verrais au moins trois :
- D’abord, une démocratie de type athénien n’est envisageable, gérable, qu’au sein d’une cité. Dès que l’échelle étatique augmente, la démocratie directe n’est plus applicable, or l’époque hellénistique est l’époque des royaumes et des Ligues, plus des cités contraintes de s'effacer face à la puissance militaire et politique de ces nouveaux venus.
- Ensuite, il s’agit probablement du régime politique le plus onéreux ; en effet, la pratique de la politique par les plus pauvres implique la nécessité de verser un salaire, car il ne saurait y avoir de démocratie s’il faut choisir entre manger et voter. Les juges, les fonctionnaires, les conseillers, etc. et même les électeurs doivent donc être payés, alors que les oligarques possèdent les moyens financiers pour s’offrir le luxe de se consacrer gratuitement à la communauté. Le système n’est donc viable que si l’essor économique est à la hauteur. Ou alors on renonce à ces versements, et la démocratie perd sa substance puisque la majeur partie de la population est exclue de fait des délibérations, l’oligarchie s’impose en dépit d’institutions plus ou moins démocratiques (il semblerait que ce soit le cas d’Athènes au III-IIe, sous toute réserve).
- Enfin, l’époque hellénistique voit le retour en force du professionnalisme dans l’armée ; les armées deviennent, redeviennent, des armées de professionnels (qu’ils soient mercenaires étrangers ou que ces professionnels soient recrutés au sein de l’élite civique), et la composante civique, la levée des citoyens, s’amenuise jusqu’à devenir accessoire. En perdant sa place sur les champs de bataille, le citoyen pauvre perd sa principale légitimité ; tant qu’il participait activement à la défense commune, il pouvait revendiquer une juste récompense pour son sacrifice ; maintenant que des professionnels assurent la défense commune, les plus pauvres qui de fait ne contribuent pas à leur entretien n’ont plus grande légitimité.