Jean Maurel est un ingénieur des Ponts et chaussées à la retraite , un fasciné de grands chemins , qui a perdu son temps à fouiner dans les archives départementale et a publié le résultat de ses trouvailles dans 4 ou 5 livres .
Voici un passages qui nous intéresse . C’est un peu long , mais je n’aurai pas l’incorrection ni de le couper , ni de le résumer . Le texte est entrecoupé de citations d’archives que je ne peux pas surligner en italique mais que vous saurez bien reconnaître .
******* CITATION « … La culture de la pomme de terre est affaire autrement plus importante que tous les écarts de langage, et c'est le nouvel évêque de Rodez, Mgr Champion de Cicé, qui, à sa façon, s'en préoccupe. Peu de temps après son arrivée, le 8 août 1771, ce prélat lance une enquête qui fournit la meilleure panoplie d'informations sur les débuts de cette culture, ici. Soucieux de progrès, l'évêque, demande notamment à chacun de ses curés : « Y a-t-il des fruits dont le terrain permettroit la culture, quoiqu'elle ne soit pas introduite dans [votre] paroisse ? » Belle occasion de faire le point sur l'arrivée de la pomme de terre comme culture vivrière en Rouergue, et sur la « vraie » révolution que cela va produire.
Dire le moment précis où on a mis en terre le premier de ces tubercules, en pays de Rodez, est chose impossible, mais c'est probablement entre 1760 et 1770 que la pomme de terre a commencé à être prise au sérieux, ici. On sait qu'ailleurs cela s'est fait de façon plus précoce, le produit étant connu en Europe depuis le XVIe siècle et cultivé dans d'autres régions de France depuis des décennies.
A l'évêque, plus de neuf curés sur dix, tout d'abord, répondent qu'ils ne voient pas quelle innovation frumentaire pourrait améliorer le sort de leurs ouailles, ce qui montre qu'en 1771 la culture de la pomme de terre est loin d'être généralisée. A Lapanouse-deSévérac, par exemple, le curé répond : on ne cognoit point la culture des pommes de terre. Ailleurs, des tentatives ont dû décevoir, le curé de Meyran écrivant : après les essais qu'on en a fait, on ne connaît pas d'autres fruits [que ceux de la tradition] dont le terrain permet la culture ; le pasteur de Soulages-Bonneval dit aussi : je ne crois pas [que] les pommes de terre s'introduisent avec succès. D'autres curés semblent plus positifs vis-à-vis de ce produit nouveau, celui de Lanhac, par exemple, estimant que dans sa paroisse on pourroit introduire les pomes de terre. Mais il est des lieux où ce pas a été déjà franchi. A Salles-Curan, on les cultive depuis quelques années. A Sainte-Juliette, introduites depuis quelques années, [elles] n'y réussissent pas mal. Au Neyrac, dit le curé, dans l'insuffisance de la récolte du bled, on n'a pour ressource que les pommes de terre dont on fait une assés grande quantité depuis quelques années. A Marcillac, le curé indique qu'il y a quelque quartier où elles ont réussy. A Naucelle, la pomme de terre n'est présentée que comme une culture de jardin. Elles sont également évoquées à Laguiole, à Entraygues, à Bessuéjouls, à Campuac... et plus au sud à Taurines et dans les environs de Réquista ou de Lédergues. La culture de ce tubercule apparaît donc diffuse en cette année 1771, avec à l'avant-garde, semble-t-il, les zones du Rouergue où les humbles souffrent du caractère capricieux, d'une année à l'autre, des récoltes de châtaignes. Mais la méfiance reste vive ; à Caplongue, par exemple, le curé estime que la dizette des grains a fait introduire depuis quelques années la culture des pommes de terre, ce qui est un grand soulagement pour les pauvres gens qui manquent de pain ; mais aussi, d'autre cotté, on éprouve déjà que cette culture nuit à celle du bled, soit parce qu'on l'étend trop, soit parce qu'elle épuise beaucoup les terres ou parce qu'on y employe le meilleur engrais, et que le misérable n'a pas de quoy pourvoir à celui des terres à préparer pour le bled ; à Prades-de-Ségur, même son de cloche : les pommes de terre demandent dans ce terrain beaucoup de fiant, ce que tout le monde n'a pas. Le curé de Carcenac-Salmiech donne, lui, une clé : il est bon de n'en user [de la pomme de terre] que quand on juge que le reste de la récolte [celles des blés] a été prise mal en hiver ; alors on peut en semer au printemps.
Mais il y a des aussi des relents de dédain face à un produit qui n'est pas dans la tradition, le curé de Lunet répondant à propos de sa paroisse : l'on y cultive à peu près tous les fruits dont on peut espérer une récolte passable, jusques aux pommes de terre ; même tonalité à Ségonzac : on y met tout en usage, jusques aux pommes de terre.
Les variétés connues au XVIII' siècle n'étaient pas particulièrement sapides, dit-on, et la pomme de terre garde mauvaise réputation, celle d'un produit pour les pauvres, d'où le nom qui lui est parfois donné : le « gonfle-bougre. » Pour l'évolution de l'image de ce tubercule, il faut évidemment évoquer Antoine Augustin Parmentier, un pharmacien militaire qui, prisonnier en Allemagne, y avait apprécié ce « végétal. » Il en fait activement la promotion dès 1763. Mais ce n'est qu'après 1780 qu'il réussit son coup de maître : utiliser le roi Louis XV' comme « vedette de pub ». Il fait semer deux hectares de pommes de terre à Neuilly et fait garder l'endroit par des soldats comme un lieu précieux où nourriture du roi. Bien sûr, il se commet des vols, la garde du champ intentionnellement fictive. Et ce fruit, précédemment réputé suspect, vénén, jugé de bon goût. Pensez donc ! Un aliment dérobé au roi. Les Parisiens prennent dès lors l'habitude de manger des pommes de terre.
L'histoire est-elle vraie ? C'est du moins ce que l'on raconte partout. En l'occurrence, constatons que les habitants du pays de Rodez ont été plus dégourdis que ceux de la capitale : la pomme de terre, certains ici la cultivaient plusieurs années avant que Louis XVI ne monte sur le trône, en 1774.
En Ségala, plus précisément, il faudra attendre une trentaine d'ans, autrement dit l'époque où un certain Napoléon Bonaparte est aux affaires, pour voir la pomme de terre un peu partout. Si des chicanes à propos de ce produit, consécutives à des larcins, à des destructions de plants par un cochon, etc., sont repérables en 1779, 1781, 1783, à Carcenac-Peyralès, au Lac, à Sainte-Juliette...,' ce n'est guère qu'après 1800 que l'on trouve des mentions répétées de pommes de terre dans des contrats de bail.
Mais quelle révolution que cette culture, ici ! On a ci-devant conté plusieurs épisodes montrant la « dictature » du grain pour la survie des hommes, au temps des Lumières, et on pourrait en conter nombre d'autres. Et voilà qu'en une cinquantaine d'années, un tubercule, la pomme de terre, va faire basculer cet état des choses... »
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