Bonjours tous,
Profitant des vacances, je voudrais lancer un vaste sujet, propice, je l'espère, au débat ainsi qu'à des interventions érudites; en effet il s'agit d'éclairer une structure politico-culturelle difficile à cerner : le principe de monarchie élective. Le terme, en lui-même, semble impropre à toute définition tranchée et n'encourage certes pas à la prudence historique. Il semble bien en effet, que nombre de nos monarchies occidentales aient été, à l'origine, des monarchies de type électif, c'est à dire où le roi ou primitivement le chef ne tirait pas,
a priori, la légitimité ni l'effectivité immédiate de son pouvoir, ni de principes dynastiques tranchés, ni, bien évidemment, de la transcendance divine particulière qui lui était accordée mais surtout d’une approbation accordée par un certain nombre de ses sujets.
Pardonnez la confusion qui entache ce sujet, mal problématisé et au titre mal trouvé, mais il faut tenter de borner, dans l'espace et dans le temps le questionnement. Je place donc ce sujet dans cette section du forum, précisément dans le but d'éviter une dissertation orientée –seulement- sur cette structure politique abstraite qu'on tenterait de définir à l'aide d'exemples des plus diversifiées; or, il y en a, jusqu'à aujourd'hui de nombreux.
D'autre part, mes connaissances historiques étant beaucoup trop vagues par rapport à d'autres périodes, il vaut mieux éviter d'emblée d'égarer un sujet qui me tient à cœur.
Ces prodromes passés, voici de quoi éclairer les aimables contributeurs.
Pour commencer,
on pourra davantage s'orienter sur la période allant des royaumes barbares (pardonnez l'expression vieillotte) jusqu'à l'émergence des monarchies nationales (et non pas absolue), à savoir, autour du tandem France-Angleterre à l'orée du XIIIème siècle. Depuis Louis VII et surtout avec Philippe Auguste, il semble bien, en tout cas dans le royaume de France, que l'on se sépare définitivement des reliquats de l'ancienne monarchie élective héritée des rois mérovingiens, au sens où la primogéniture des mâles s’impose dans les lois fondamentales du royaume et que l’on renonce à sacrer le dauphin du vivant du roi. C'est aussi le moment où l'Etat et sa structure émergent progressivement et que le terme royaume
de France devient légitime.
D'après ce que je sais (c'est peu et imprécis), la coutume de l'élection, dans sa forme la plus large, viendrait de peuplades germaniques dont certains des monarques ou des chefs furent à l'origine des dynasties royales de l'Europe occidentale. Ainsi: Le royaume wisigothique, La Francie, la Lotharingie, les petits royaumes anglo-saxons (où le
Witan peut élire le roi) des îles britanniques pratiquaient,
mutatis mutandis, cette forme singulière de nomination. Je trouve cela pour le moins nébuleux, sachant que cette pratique n'a rien de systématique, puisque dans bon nombre de cas le fils ainé a pu, à un moment ou à un autre, succéder à son père, que s’entremêlent à ce processus la présence des grandes figures du royaume et des grands lignages qui tentent de faire valoir leur légitimité à la couronne. Sur ce fait, le "collège ou l'assemblée" des électeurs semblent être, dans une petite unité, l'assemblée des hommes libres et dans une principauté plus structuré, les grands du royaume, ceux qui deviendront les "pairs du royaume" par la suite et qui conserveront leur place dans une assemblée de baron devenant in fine le conseil du roi. Les modes de nominations semblent tellement varier que l'on s'y perd...
Il y a le cas également où une lignée s'éteint; dès lors l'élection d'un nouveau candidat demeure une possibilité: c'est le cas en 887 avec l'élection d'Arnulf de Carinthie qui succède à la tête de la Francie orientale aux carolingiens,
idem l'année suivante pour Eudes, Comtes de Paris à la tête de la Francie occidentale, puis l'on connait l'heureuse fortune des Robertiens... Dans les deux cas, c'est le prestige militaire auprès des nobles locaux qui décide du choix: début de la féodalité mais aussi régionalisation des pouvoirs où les nobles, et se sont tous des francs, à part pour les marches, contestent la dynastie carolingienne, jugée trop faible.
On pourrait également parler de la
diète d'Empire (justement réunie au moment de la crise des années 880 qui survit au morcellement et dont le principe originel (article de wiki "Diète d'Empire") serait le suivant:
" Son principe est probablement basé sur l’ancienne loi germanique qui veut que chaque chef tenait son autorité de ses lieutenants." On aurait donc une forme de parlement germanique rassemblant primitivement les chefs de factions.
Peut-on dire de manière tranchée, comme cela transparait de certaines de mes lectures, que l’élection du roi/chef
est une coutume archaïque que pratiquaient notamment les peuplades germaniques et dont on trouve, en effet, des échos tardifs : par exemple, les peuples de la Prusse actuelle qui élisaient leurs chefs avant qu’ils ne soient soumis par l’ordre teutonique ou bien le choix du Jarl par l’assemblée des bondi dans l’espace scandinave (et également pour les expéditions maritimes saisonnières des
felagi ou "camarades d'expéditions réunis temporairement dans une équipée collective ou chacun assume sa parts de risque") ?
On trouve également dans certains récits de batailles de l’Antiquité et du haut Moyen-Age un fait révélateur : les troupes d’un peuple tout entier peuvent se débander sitôt leur chef mort (exemples qui me viennent dans le désordre : mort du chef alaman à Tolbiac, du chef wisigothique aux champs catalauniques, des chefs Vandales, plus tardivement du Saxon Harold à Hastings, qui tient sa couronne d’une promesse d’Edouard…). D’une part, la participation du roi au combat est attendue des guerriers, il doit donc constamment faire ses preuves, trait qui montre que son pouvoir dépend pour partie des qualités de « l’homme temporel » et, d’autre part, la déroute complète et immédiate des troupes trahit une sorte de conscience de la fragilité de cette monarchie (au-delà de la baisse de moral évidente) ; on ne se dit pas « le roi est mort, vive le roi ! » et on continue alors à se battre parce qu’il reste la lignée, mais l’on se sent délié du serment-lige qu’on avait fait à cet homme-là…
Par ailleurs, faut-il considérer que le terme « électif » se trouve particulièrement inapproprié du fait que le choix se fait, la plupart du temps, entre diverses familles et hauts-lignages ?
Cette idée de coutume germanique, qui essentialise une forme politique donnée relativement à un espace culturel est-elle abusive ; dans certains ouvrages datés on trouve, il est vrai, des références à des rites et formes perdues dont on dit qu’ils viennent des peuples germaniques, sans justification. En effet, dans le cas des principautés issues des différentes régions de l’empire romain où étaient nommés des rois barbares chargés de leur défense, il semble plus raisonnable de dire que leur vision du pouvoir tiendrait plus des institutions latines que de pseudo-traditions maintenues contre vents et marées.
On peut penser aussi que ceux qui nous parlent avec aplomb des institutions politiques germaniques se servent abusivement de documents tels la Germanie, qui, dans mon souvenir, se contredit souvent : là c’est une femme qui dirige tout un peuple, ailleurs ce sont des chefs qui semblent rallier à eux des guerriers du fait d’une aura particulière, d’une qualité que les hommes reconnaissent en leur chef et qui nourrit un lien très fort de confiance…
On arrive sur un terrain déterministe et qui d'ailleurs relève désormais plus de l'ethnologie que simplement de l'Histoire, néanmoins il me semble que ce débat est fondamental et révélateur d'enjeux anciens (cherchons nous nos "racines" dans les institutions latines, comme le veut l'Ecole romane ou préfère-t-on affirmer que l'apport germanique est tout aussi fondamental et qu'il laisse à étudier des formes de pouvoir singulières, bien loin du cliché "razzia des barbares").
A ce propos, quand on dit élection, on comprend aussi, parmi les acceptions de ce mot, l’idée de choix, particulièrement d’un choix transcendant : en ce sens le roi est bien « élu de Dieu » ou, primitivement d’autres divinités (il reçoit des
signes d’élection). Or, dans l’essentiel des monarchies le peuple doit lui aussi marquer symboliquement la reconnaissance de ce choix et « élire» son chef, ce qui veut dire lui accorder une préférence absolue ; bien que de manière très limité il se trouve donc être consulté. Lors du sacre (tel qu’il se pratique encore dans la monarchie britannique, par exemple) la première étape passe par les acclamations de la foule, pratique qui fait office d’acquiescement : le roi est
reconnu. Le roi se présente et attend un assentiment, pour varier les termes. On peut penser bien évidemment à l’élévation sur le pavois qu’auraient pratiqué les francs.
Tant qu’un tel rituel se maintient, ne peut-on pas toujours dire qu’il y a monarchie élective ?
On comprend bien qu’une monarchie élective à coloration démocratique (j’outre le trait) n’apporte que des complications, au sens où l’on rend parfaitement légitime une compétition vers le pouvoir entre les meilleurs, que les hommes cherchent à reconnaitre le chef entre eux… Néanmoins, une telle forme, où les candidats à l’élection peuvent être choisis de manière plus ou moins indépendante de principes lignagers et claniques a-t-elle vraiment eu lieu à l’origine ?
On songe plutôt, comme dans le cas des rois irlandais (ou de la fonction, toute théorique de haut-roi d’Irlande)
à un choix effectué entre les chefs des principaux clans._En bref, que dire de ces monarchies dites « électives », particulièrement de celles qui auraient été à l’origine des principautés féodales qui, ensuite, une fois assemblées, formèrent les monarchies nationales occidentales que nous connaissons bien ? Jusqu'où pousser leur singularité... Mus par l'envie de découvrir une forme alternative de gouvernement, voire une composante pré-démocratique complémentaire par rapport à celles dont on se réclame d'habitude, l'on risque alors de déformer, d’amplifier et de privilégier ce qui nous arrange dans un domaine difficile où les "brumes du nord dissimulent" une ignorance que l'on pourrait reconnaitre ? (c'est du moins la crainte que j'éprouve, constatant mon manque chronique de connaissances et de recul critique).Ce qu’il y a de particulièrement frappant, à mon sens, c’est qu’une forme de mythe de la « bonne monarchie pré-médiévale et « médiévale » se soit instituée, s’inscrivant forcément en faux par rapport aux dérives de centralisation et surtout, à terme, d’absolutisme monarchique. Dans une certaine mesure les lectures nous laissent voir des monarchies médiévales où le pouvoir se partage encore efficacement entre les grands, théorie qui culmine dans le statut de
primus inter pares. Les rois ne peuvent encore se passer de l’assemblée des barrons et sillonnent leur royaume. En définitive, peut-on dire que les monarchies médiévales ont hérité d’une conception ancienne du pouvoir que portaient peut-être les peuples germanique, une forme de structure ethnologique que l’on pourrait identifier et qui n’est pas seulement tributaire de l’exiguïté du territoire contrôlé (monarchie élective facile à maintenir dans un peuple qui « migre » comme les peuples germanique et doit donc décider collectivement de son chef pour maintenir la cohésion de la communauté,
versus principautés s’agrandissant et qui tentent d’unifier le pouvoir, ce qui passe par la mise entre parenthèses de tous ceux qui estiment avoir autant de droits au trône qu’un de leurs pareils).
En clair, il faut que l’aristocrate passe du statut d’
homme libre illustre qui a son mot à dire dans la communauté et prend sa part légitime du pouvoir (
idéal aristocratique du guerrier) à la place de
sujet qui doit rendre hommage comme le autres et ne peut qu’être fonctionnaire du royaume n’étant pas l’égal du roi (soit un
courtisant).
Ce
mythe de la royauté germanique a été réactivé justement dans les périodes charnières où le pouvoir royal changeait de nature. Ainsi face à Louis XIV et Louis XV, les parlementaires en fronde, alliés de fortune des nobles frondeurs –mais pour d’autres raisons - se retrouvèrent autour des valeurs de « nos ancêtres germaniques », nos « bon vieux rois » qui, eux, ne concevaient jamais le pouvoir comme un domaine réservé à un homme mais qui s’entouraient de leurs pairs et reconnaissaient les franchises locales, les coutumes de leurs peuples. Je suis désolé mais j’avais lu cela dans Absolutisme et Lumières de Joël Cornette et il me semble que l’historien citait des titre de publications et pamphlets illustrant cette vogue… mais je n’en ait plus la mémoire…
La résistance des nobles Saxons face à l’unification normande en Angleterre est révélatrice d’un attachement à cette forme politique. Depuis lors, dès qu’un roi a tenté de se débarrasser des pouvoirs locaux à son profit il a échoué, les acquis de la La
Magna Carta sont devenus le leitmotiv privilégié d’une monarchie ou le roi a des devoirs –écrits, tangibles- à respecter (et depuis lors il prête serment après les acclamations, à l’ouverture de la cérémonie du sacre).
Mon message est trop long, mal organisé et problématisé mais je remercie d’avance tous les contributeurs (enfin, si le sujet dérive trop des bornes dévolues à la présente section du forum, on pourra le déplacer vers « Histoire du politique »).
Et bonnes vacances !