Que je suis donc allé voir, et je n'ai pas regretté !
Il y a une très belle performance de Jean Dujardin, mais les autres acteurs sont excellents, parfaitement dans le ton qui convient. par exemple, au début je me suis dit que Polanski avait exagéré le côté "lourdaud" du commandant Henry, mais le personnage prend de l'étoffe au fil de l'histoire et on s'aperçoit qu'il maîtrise toutes les ficelles de l'affaire. Un bon acteur, là aussi.
(Un petit regret, il manque la scène clé de l'Affaire, le véritable coup de théâtre, celui où un officier montre au nouveau ministre de la guerre, sous la lampe, que le quadrillage de la "preuve" fournie par Henry ne raccorde pas : c'est un collage.)
Je confirme le soin apporté aux décors et aux détails matériels : c'est superbe, on se croirait revenu à l'époque. Gros travail sur les éclairages, entre autres.
Et tout comme Duc de Raguse, et sans doute plus encore, j'ai été saturé par les références au climat antisémite. Polanski en fait des caisses, on comprend que cet aspect le touche, mais enfin... à certains moments c'est insupportable.
Par exemple je me suis demandé si la réponse folle de Bertillon, l'expert en écriture, lorsque Picquart lui montre un document intercepté, venant d'Esterhazy, à côté du "petit bleu" supposé écrit par Dreyfus, si cette réponse est attestée ? Picquart en a-t-il fait état par la suite ? Si quelqu'un a l'information...
Picquart :"Et si je vous disais que ces deux documents, dont l'un est très récent, sont tous les deux de la main de Dreyfus, que me diriez-vous ?"
Bertillon :"Je vous répondrais que les Juifs ont trouvé un nouveau moyen de contrefaire l'écriture de Dreyfus !"
Au passage, je me suis demandé pour la première fois si Bertillon était dans le complot : tous ceux qui ont assisté à sa prestation au cours du procès (prestation remarquablement rendue) ont dit après coup qu'ils n'avaient rien compris à sa démonstration. L'homme, fondateur de la police scientifique et "inventeur" des empreintes digitales, n'était pourtant pas un imbécile. Parti-pris et jargon confus, donc.
Duc de Raguse a raison, c'est un très grand film. Le sujet n'a pas été gâché.
Mais une fois de plus, à voir tous ces officiers généraux se comporter en épouvantables salauds - ce qui est très bien illustré - et protéger Esterhazy - ce qu'on ne voit pas - je suis revenu à la question de base : je maintiens que leur motivation réelle n'a toujours pas été découverte.
Il y a dans le film ce mot de Picquart, encore étonné que ses chefs aient refusé de reconnaître une erreur : "L'état-major s'est mis dans la situation ridicule de condamner un innocent pour protéger un coupable."
On en a déjà longuement parlé, et que CEN_EMB et Barbetorte terminent sur la fameuse phrase de Michel Rocard ne me suffit pas. ("L'erreur est très souvent plus probable que le complot, parce que l'erreur ne demande que de la connerie, alors qu'il faut de l'intelligence pour concevoir un complot".)
Pour moi la question posée par Clemenceau reste ouverte. (Mais on n'aura sans doute jamais la réponse, faute d'archives allemandes à examiner.)
je cite tout de même cette question :
Citer :
“La plus immédiate des causes de l’Affaire est bien sûr la condamnation d’un innocent, au terme d’une enquête bâclée, d’une instruction partiale et d’un procès truqué, aujourd’hui bien connus. Il faut en revanche se demander pourquoi le ministère de la Guerre, bien qu’ayant changé plusieurs fois de titulaire, va refuser de réparer pacifiquement celle-ci et s’acharner à nier la vérité, puis l’évidence. La question a intrigué Clemenceau (« pourquoi l’État-major avait-il partie liée avec un traître ? ») qui avoue que la réponse lui échappe, l’esprit de corps et l’influence cléricale lui paraissant des explications fondées mais insuffisantes.” (“Histoire politique de l'affaire”, Bertrand Joly).
On en a parlé ici :
http://www.passion-histoire.net/viewtop ... &start=315(Par "influence cléricale" il faut entendre antisémitisme catholique : les Juifs sont ceux qui ont tué le Christ.)