La garde nationale mobilisée, ceux qu’on appelait « les mobilisés », a été évoquée dans plusieurs discussions, où on se posait la question de ce qui la différenciait de la garde nationale mobile. Dans le prolongement des explications que j’avais pu apporter concernant les mobiles, dans le sujet titré Garde nationale mobile, je me suis dit que faire de même pour les mobilisés pourrait peut-être servir à celles et ceux qui se poseraient la question, mais n’auraient pas le temps de faire par eux-mêmes les recherches nécessaires.
Le premier point à considérer est que la garde nationale mobilisée n’est qu’un avatar de la garde nationale sédentaire, qui existait, sous la forme qu’on lui connaît bien, depuis la Restauration.
La garde nationale sédentaire.
Contrairement à la garde nationale mobile, qui relevait du ministre de la guerre, la garde nationale sédentaire ne faisait pas partie de l’armée et n’avait a priori qu’une vocation de maintien de l’ordre public. Après avoir connu son heure de gloire sous la monarchie de Juillet, elle avait été réorganisée par la loi du 13 juin 1851, qui posait des limites strictes à son activité. Composée théoriquement de tous les Français à partir de l’âge de vingt ans (la loi prévoyait une longue liste d’exemptions), elle était organisée en compagnies communales, placées sous l’autorité des maires, des sous-préfets, des préfets et du ministre de l’intérieur. Elle pouvait être regroupée en bataillons ou légions à l’échelon du canton, mais ne devait en aucun cas être organisée par département, ni même par arrondissement. Les citoyens ne pouvaient ni prendre les armes, ni se rassembler comme gardes nationaux, avec ou sans uniforme, sans l’ordre des chefs immédiats, et ceux-ci ne pouvaient donner cet ordre sans une réquisition de l’autorité civile.
Les gardes nationaux inscrits sur le contrôle du service ordinaire de leur commune étaient susceptibles d’être appelés « à tous les services d’ordre et de sûreté, ainsi qu’aux exercices et aux revues » dans leur commune ; ils pouvaient également être requis en service détaché pour effectuer hors de la commune des tâches normalement dévolues à la gendarmerie et à la troupe de ligne : escorte de convois sensibles, rétablissement de l’ordre et maintien de la paix publique. Plusieurs catégories de gardes nationaux étaient de par leur profession dispensés du service ordinaire et, inscrits sur les contrôles de la réserve, ne pouvaient être appelés que par arrêté du préfet. La loi prévoyait également un service de corps mobilisés pour seconder l’armée de ligne, mais selon des modalités qui restaient encore à définir.
Jamais convoquée sous l’Empire (qui se méfiait de son esprit facilement frondeur), quasiment désarmée, la garde nationale sédentaire était tombée dans un profond sommeil. Or, avec la guerre, il était à craindre que la gendarmerie ne suffise pas à maintenir l’ordre public et il ne fallait plus compter sur la troupe de ligne pour lui prêter main forte, ni d’ailleurs sur la garde mobile, qu’on s’apprêtait à envoyer affronter l’ennemi aux côtés de la ligne. Il ne restait plus que la garde sédentaire, qui trouvait là un champ d’emploi tout indiqué, conforme aux missions que la loi lui avait assignées. Il convenait donc de la réveiller de la léthargie complète dans laquelle elle avait été plongée.
Un premier décret pris dès le 7 août 1870 stipulait entre autres que : Art. 1er. Tous les hommes valides de 30 à 40 ans qui ne font pas actuellement partie de la garde nationale sédentaire y seront incorporés. Art. 2. La garde nationale de Paris est affectée à la défense de la capitale et à la mise en état de défense des fortifications.
Pour que tout soit clair dans les esprits, on jugera bon de déclarer par une loi le 12 août 1870 : « La garde nationale sédentaire est rétablie dans tous les départements », et d’ordonner sa réorganisation immédiate conformément aux dispositions de la loi de 1851, tout en précisant que : « Les officiers élus seront choisis parmi les anciens militaires ». Car la loi de 1851 confirmait l’élection obligatoire de tous les cadres, officiers, sous-officiers et caporaux.
Une circulaire envoyée le 13 août par le ministre de l’intérieur aux préfets leur rappelait les dispositions principales de cette loi et leur signalait les points sur lesquels devait porter l’essentiel de leur attention. « L’uniforme devra être conçu de la manière la plus simple. Le plus souvent une blouse avec signes distinctifs aux parements et au collet suffira ». Au préfet de la Mayenne qui le questionnait à ce sujet, le ministre fit répondre par télégramme le 19 août : « Lisez l’article 59 de la loi de 1851 pour l’habillement de la garde sédentaire dans les communes de plus de 3000 âmes. Prescrivez soit l’uniforme indiqué dans ma circulaire du 13, soit tout autre analogue. C’est aux gardes nationaux de s’habiller, l’Etat n’intervient qu’en cas d’impossibilité absolue et pour les départements menacés ; le vôtre n’est pas de ce nombre ». L’urgence était à l’habillement de la garde mobile et pas à la garde sédentaire. On en resta donc là pour le moment. Pour l’armement : « La distribution des armes sera faite d’abord aux gardes nationales des départements envahis, des villes mises en état de siège par suite des nécessités de la guerre. Les anciens militaires seront les premiers servis. Le Gouvernement prendra d’urgence des dispositions à cet effet. Je me concerte avec le Ministre de la guerre pour que, sur votre demande, les directions d’artillerie mettent des armes à votre disposition, suivant les besoins du service et dans les conditions déterminées par la loi. Mais en attendant, il sera nécessaire que les hommes s’exercent sous la direction des militaires instructeurs, avec les armes qu’offrent les ressources du pays ». Il n’était évidemment pas question d’armer la garde sédentaire de chassepots et il faudrait se contenter de fusils anciens modèles, Le 21 août, le ministre de l’intérieur avertissait les préfets que « l’approvisionnement en armes rayées que possède l’administration de la guerre n’étant pas suffisant pour satisfaire à toutes les demandes, il sera nécessaire dans quelques départements éloignés du théâtre de la guerre, de distribuer un certain nombre de fusils à percussion lisses ». Et le 1er septembre, il les prévenait par circulaire télégraphique : "Dès que le ministre de la guerre aura mis des armes à ma disposition, je répondrai aux demandes que vous m’adressez pour la garde nationale sédentaire. En attendant, organisez les cadres et prévenez les maires que l’armement ne pourra s’effectuer qu’à mesure des livraisons faites par la guerre et après que les mobiles et les départements menacés par l’ennemi seront pourvus. Le nombre des fusils disponibles est quant à présent forcément très restreint. Communiquez cette dépêche aux conseillers d’Etat en mission". Il y avait d’autres urgences et là aussi, on en restera là pour le moment.
Il fallait d’ailleurs commencer par le commencement et former, dans chaque commune, le conseil de recensement prévu par la loi de 1851, conseil composé de la moitié des membres du conseil municipal, plus un nombre égal de citoyens désignés par le préfet. Cela fait, ce conseil devait classer tous les citoyens âgés de 21 à 55 ans, et les répartir entre service actif (ou ordinaire) et service sédentaire (ou de réserve), ouvrir les registres et prononcer les dispenses.
Il fallait ensuite faire procéder à l’élection des cadres : officiers, sous-officiers et caporaux. Le processus était toujours en cours à la chute de l’Empire. Le conseil de recensement de la ville de Laval, pourtant placée sous l’œil direct du préfet, n’a pu commencer à se réunir que le 30 août et l’élection des cadres n’était pas envisagée avant le 10 ou le 11 septembre. Les archives montrent qu’il en a été de même dans toutes les communes ; dans certaines, les élections n’interviendront même qu’au début du mois d’octobre.
Les maires, en général, n’ont pas rechigné et se sont même montrés souvent intéressés, en Mayenne du moins, à la mise sur pied de leur garde sédentaire, en laquelle ils voyaient un outil précieux pour assurer l’ordre et la tranquillité dans leur commune ; cela sur un fond d’inquiétude du monde rural devant le nombre croissant de vagabonds en tous genres qui, de plus en plus nombreux, sillonnaient les campagnes. Unanimement, ils réclamaient des armes.
La garde nationale mobilisée.
Les nouvelles instances dirigeantes arrivées au pouvoir à la chute de l’Empire étaient, en matière de défense, plutôt acquises à l’idéologie du programme de Belleville : suppression des armées permanentes, défense populaire par des citoyens instruits et armés, sur le modèle suisse. C’est ainsi que le nouveau préfet, qui arrive à Laval et débarque du train de Paris au petit matin du 10 septembre, ne jure que par la levée en masse, entend mener une guerre de partisans et réclame du conseil général qu’il vote les subsides nécessaires pour procurer à chaque homme valide un fusil et 400 cartouches. Son credo : « Sous la République, un homme n’est vraiment citoyen que quand il est maître de trois biens : une intelligence cultivée, un cœur généreux et un bon fusil pour défendre contre toutes les tyrannies sa femme, ses enfants et son foyer ».
Pour mener ce type de guerre, par nature locale, la garde sédentaire est toute indiquée et par circulaire du 14 septembre, le ministre de l’intérieur demande aux préfets et aux maires de hâter l’exécution de la loi du 12 août . Il leur prescrit également de préparer, avec les officiers qui venaient d’être élus, la formation de compagnies détachées, destinées à effectuer un service actif hors du territoire de la commune, ou même un service de corps mobilisés pour seconder l’armée de ligne.
Cette mobilisation, qui ne concernera d’abord que les hommes de 21 à 40 ans, non mariés ou veufs sans enfants, résidant dans le département, va s’opérer en deux temps.
Le 29 septembre, un premier décret ordonne de les organiser immédiatement en compagnies de gardes nationaux mobilisés. Susceptibles d’être mises à la disposition du ministre de la guerre, ces compagnies devaient commencer immédiatement à s’exercer ; pour les armer, le préfet était autorisé à réclamer les armes des autres gardes nationaux sédentaires et des pompiers, et à requérir au besoin les fusils de chasse. Les maires, qui étaient censés avoir achevé la mise sur pied de leur garde sédentaire, avaient trois jours pour dresser les listes des mobilisables et les conseils de révision devaient se réunir 48 heures plus tard au chef-lieu d’arrondissement. Les instituteurs laïques dirigeant une école communale et leurs maîtres-adjoints restaient dispensés.
Le 11 octobre, considérant que les opérations de révision étaient terminées, un nouveau décret ordonnait : - de former les mobilisés en compagnies de 100 à 250 hommes ; - de regrouper les compagnies d’un même canton en bataillons de quatre à 10 compagnies ; - de rassembler les bataillons d’un même arrondissement dans une légion, commandée par un lieutenant-colonel ; - de grouper les légions d’un même département dans une brigade portant le nom du département, sous les ordres d’un colonel commandant supérieur.
Du caporal au chef de bataillon tous les cadres devaient être élus. Seuls les lieutenants-colonels et le colonel seraient nommés par le ministre de l’intérieur. Les exercices, d’une durée minimale de deux heures par jour, devaient se faire par commune pendant la semaine, le bataillon groupé au chef-lieu du canton le dimanche (ou en tout autre lieu désigné par le chef de bataillon). Le chef de légion ou le commandant supérieur pouvait réunir le corps en un point quelconque de l’arrondissement ou du département. L’uniforme, à fixer dans chaque département, devait obligatoirement comprendre une vareuse avec col et pattes rouges, et un képi. Les précisions relatives à la solde, à l’habillement et à l’équipement étaient renvoyées à un décret ultérieur.
Le 15 octobre, la délégation de Tours rappelait aux préfets que « Le système électif est le seul que puisse admettre la République – Abstenez-vous donc de toutes nominations d’officiers mobilisés ». Il allait falloir organiser de nouvelles élections, au sein des compagnies d’abord, puis faire élire le chef de bataillon par les officiers et des délégués de toutes les compagnies. En Mayenne, ces élections ne commencèrent que le 2 novembre, car entre temps, il fallait régler quelques détails matériels : uniformes, solde, armement, qui paye ?
L’Etat paye… avec l’argent des communes !
Par décret du 22 octobre, la délégation de Tours annonça que les gardes nationaux mobilisés seraient habillés, équipés et armés par l’Etat… au moyen de contingents (financiers) fournis par les départements et les communes et calculés sur la base de : - 60 fr. par homme pour l’habillement et l’équipement, à verser au Trésor le 30 novembre ; - 3 mois de solde à raison de 1,50 fr. par homme et par jour, à verser pour moitié le 15 décembre, pour moitié le 30 décembre ; En contrepartie, les préfets ont reçu des délégations de crédit d’un montant équivalent, pour leur permettre de passer les marchés nécessaires. Un supplément de 20 francs par mobilisé sera demandé le 5 novembre aux communes, à titre de participation aux frais d’acquisition centralisée des armes, par les soins de la Commission d'armement de la délégation de Tours..
Le 2 novembre : la levée en masse.
Un nouveau décret ordonne cette fois la mobilisation de tous les hommes de 20 à 40 ans, y compris les mariés et les veufs avec enfant. La notion de soutien de famille est abolie, seules les exemptions médicales seront admises. En contrepartie, la République pourvoira aux besoins des familles reconnues nécessiteuses et adopte par avance les enfants de ceux qui succomberont.
Un décret complémentaire pris le 7 novembre répartit en deux bans et trois sous-catégories la ressource nouvelle procurée par le décret du 2 novembre ; bans qui seront successivement appelés et mis à la disposition du ministre de la guerre, dans l’ordre qu’il fixera ultérieurement. - 1er ban : les citoyens déjà mobilisés par le décret du 29 septembre (célibataires ou veufs sans enfants), qui avaient été exemptés par les conseils de révision à titre de soutiens de famille. - 2e ban -1: les citoyens mobilisés par le décret du 2 novembre et âgés de 21 à 30 ans. - 2e ban -2 : les citoyens mobilisés par le décret du 2 novembre et âgés de 30 à 35 ans. - 2e ban -3 : les citoyens mobilisés par le décret du 2 novembre et âgés de 35 à 40 ans. Les hommes du 1er ban seront versés dans les compagnies déjà formées, sans en modifier les cadres déjà élus. Ceux du 2e ban formeront des unités nouvelles au fur et à mesure des appels successifs. Il y aura alors lieu de faire procéder à l’élection des cadres pour ces corps nouveaux, compagnies, voire bataillons, qui seraient placés sous le commandement des légions déjà existantes.
La mise sur pied des bataillons de mobilisés va occuper pratiquement tout le mois de novembre, voire déborder sur décembre : il fallait faire procéder aux élections, faire confectionner les uniformes, recevoir et distribuer l’armement, se procurer les ingrédients nécessaires pour fabriquer les cartouches (poudre, plomb, capsules de fulminate, papier et carton), faire fabriquer les milliers de havresacs, gamelles, tentes, souliers, képis, nécessaires pour équiper, ou tenter d'équiper, tant bien que mal, tout ce beau monde. En Mayenne, les uniformes ont été confectionnés à Laval, avec 27 kilomètres de drap achetés en Angleterre par l'intermédiaire d'un transitaire installé à Tours, livrés à Boulogne-sur-Mer, transbordés sur bateau français et débarqués à Saint-Malo. En 1873, on finissait de régler les questions administratives liées au paiement des factures...
A la date du 19 décembre, les trois légions de la Mayenne étaient à peu près armées : - 1ère légion : 2802 fusils Enfields longs, avec 236.000 cartouches ; - 2e légion : 572 carabines Sniders et 42.000 cartouches et 3007 fusils rayés avec 134.000 cartouches. - 3e légion : 1086 fusils Enfields longs avec 60.000 cartouches et 910 fusils Springfields avec 40.000 cartouches.
Mais ce n’est pas avec des hommes sans instruction militaire et des fusils dont la moitié ne fonctionnaient d’ailleurs pas qu’on fait une armée capable d’entrer en campagne. D’autant que la capacité d’auto-instruction des bataillons, déjà moins que faible, avait été encore amoindrie par diverses mesures, qui les privaient progressivement de ceux qui, anciens soldats, pouvaient instruire les autres.
Un décret du 22 novembre avait autorisé les préfets à puiser dans les mobilisés tous ceux qui avaient servi dans l’artillerie, pour armer les batteries départementales d’artillerie qu’ils étaient chargés de mettre sur pied à raison d’une batterie par tranche de 100.000 habitants. Une circulaire du 12 décembre du ministre de la guerre avait ordonné de diriger sur les régiments d’artillerie tous les mobilisés ayant servi dans la cavalerie.
Les neuf bataillons de la Mayenne que l’on avait envoyé cantonner à la limite Est du département, seront mis le 9 janvier à la disposition de l’armée de la Loire, qui les avait réclamés. Le général Chanzy les enverra défendre le pont de Beaumont-sur-Sarthe et la ville d’Alençon. Le résultat fut à la hauteur de l’investissement : nul.
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