Loïc a écrit :
je suppose que ces vandales iconoclastes vénérent une figure comme Toussaint Louverture, enfin si ils connaissent son nom, qu'il faudrait pourtant déboulonner ou débaptiser des rues ou d'établissements à son nom car propriétaire d'esclave, et qui remplace l'esclavage par un travail forcé
Je respecte tout à fait les participants de ce débats, mais il faudrait cesser de répéter à satiété "vandales iconoclastes" dans le feu de cette discussion. Je ne vois pas quel serait le rapport avec la méthode historique et la main ferme tenant le froid scalpel de l'histoire. Il ne s'agit pas de polémique, mais d'une contradiction flagrante dans ce débat.
Par notre attachement et notre connaissance des faits historiques ces actes nous révulsent car ils sont négateurs de sens. Cependant quand on veut en discuter dans le forum "historiographie et épistémologie", il s'agirait de clarifier un peu les termes.
D'abord, qu'ont à voir :
- le vandalisme
- l'iconoclasme
-(une dernière pratique qui n'a pas été définie) le déboulonnage. Lui-même est tantôt le fait de personnes isolées, soit d'une association, soit d'une décision étatique.
Je pense que même si vandalisme et iconoclasme appartiennent à des contextes historiques qu'il faut avoir en tête, on aurait tort de s'en passer en histoire car ils ont tout leur sens dans la langue française. Là n'est pas la question.
En revanche nous savons tous, comme vous le faites bien remarquer que rien n'est aussi simple. L'exemple le plus fameux : destruction de la colonne vendôme pendant la Commune. On a beaucoup débattu du sens de cet acte, vandalisme ou iconoclasme. C'est qu'entre 1814 et 1870 (pour faire gros), les changements incessants de régimes s'accompagnent assez systématiquement de telles pratiques qui jouent sur les symboles, les drapeaux, les insignes et les "éléments de mobilier urbain" plus ou moins signifiants. Au point que chez certains, on ne se souciait plus de leur sens, témoins ces maires qui gardaient un buste de Marianne, un autre de l'Empereur puis un du roi... au cas où.
Il faut citer aussi le mouvement en cours depuis début 1991 dans les ex-républiques soviétiques de déboulonnage des statues exaltant les bienfait du soviétisme et de la grande guerre patriotique. Une véritable guerre avec des enjeux politiques importants motive les gouvernements de Pologne et République-Tchèque contre les répliques diplomatiques de Moscou, dont la ligne vis à vis de l'armée Rouge est on ne peut plus chatouilleuse. Qui de l'un ou de l'autre a raison ?
C'est le cas dernièrement pour le déboulonnage de la statue du maréchal Koniev à Prague. En Russie on le retient pour son rôle dans la libération de cette ville et en tant que héros de la guerre de libération. Mais en Tchéquie, on s'en souvient comme le chef du district militaire et le sabre de la répression de 1956 en Hongrie.
La statue avait déjà fait l'objet d'actes de vandalisme, mais l'enlèvement relève d'une volonté beaucoup plus forte. A noter que la statue de Koniev ne sera pas renvoyée à la mère patrie mais exposée dans le musée "Mémorial du XXe siècle". Une décision assez mesurée.
Ce phénomène est intéressant parce que l'on assiste à un déboulonnage en continu depuis début 90' dans certains de ces pays et qu'il est vivement encouragée et acté par l'Etat. Comme en ex-RDA, on a l'impression que tout ce qui s'est passé entre 1945 et 1990 est bon pour la revente sur e-bay ou le confinement dans des musées. C'est le "pays sur l'étagère" pour reprendre le mot de N. Offenstadt dans ses écrits sur la RDA.
Il faut aussi juger le processus inverse: quand on reboulonne en grande pompe les statues ou que l'on en donne des copies ou qu'on en ajoute. Le Paris de la restauration, puis celui de la IIIè naissante a beaucoup fait pour redonner leur place à certaines, puis "toutes les gloires de la France". Dans le paysage urbain, on voit beaucoup plus le Sacré Cœur que le pauvre monument délabré du mur des fédérés et la colonne vendôme a de nouveau tout son sens tandis que celle de juillet ne raisonne plus dans les mémoires (puisque la crypte aux morts des Journées est close).
Je crois aussi que l'on perd toujours quand on veut ainsi effacer des pans entiers de l'histoire d'une nation. Cependant, l'historien n'est pas un gardien de musé. Comme on dit maintenant - et ça se discute aussi - tout objet d'histoire, toute pratique humaine est sienne. Y compris donc ces déboulonnages qu'il s'agit de remettre en perspective et auxquels redonner sens. Cela se révèle d'autant plus difficile que ce sujet nous concerne aujourd'hui et nous implique politiquement, dans une certaine mesure.
Le débat sur les statues du général Lee aux Etats-Unis durent depuis 1960 et l'on se bat autour des socles bien souvent.
Mais je me méfie de ceux qui ont pour maxime de tout conserver et de ne rien toucher : nos villes ne sont pas des galeries d'histoire, elle sont l'histoire que nous faisons. En soi rien n'est intouchable, mais on se leurre aussi quand on pense que la destruction et les révolutions culturelles suffisent à éliminer la nécrose du corps de l'histoire...
Je terminerai sur un cas qui nous a tous fait mal : la dégradation de l'Arc de triomphe. On a eu beau jeu de monter sur nos grands chevaux et de moduler sur la honte jetée aux manifestants. Déjà tous n'ont pas écrits des choses dénuées de sens (il y a même eu du Léon Daudet ! véridique), d'autre part il aurait été bon de réfléchir un peu plus sérieusement sur le sens de l'acte : simple vandalisme ou volonté iconoclaste - ou "vandalisme iconoclaste" ? Il suffisait d'aller sur le site de l'Action Française à ce moment pour comprendre que de leur point de vue, l'acte avait nécessairement du sens.
En dernière analyse, le geste trouve pleinement sa place dans la tradition de l'insurrection parisienne française.