monoli a écrit :
Ce qui m'intéresse, c'est la 'démarche scientifique', la 'méthode scientifique, consistant à comparer les sources' (scientifiquement sourcée, bien entendu) qui permet un tel changement. Comment passe-t-on de " Il me semble que la propagation d'une langue et d'une culture sans invasion serait une exception au schéma général" à " il y a très peu d'exemples de langues qui se sont imposées au fil de l'épée, bien au contraire, ce sont pratiquement des exceptions."
Avant de fréquenter les forums de discussions, j'avais un intérêt marqué pour l'histoire, mais pris par un tas d'obligations, et même si je lisais pas mal, j'avais des connaissances qui étaient très proches de celle de la moyenne de mes contemporains. Puis, j'ai découvert internet et les forums de discussions. Pour participer aux discussions de manière normale", j'ai été obligé d'aller chercher des infos. Que ce soit dans les médias ou dans des livres. Autour de mes points d'intérêts, j'ai commencé à lire, non plus au hasard de mes envies, mais pour développer mes connaissances. Je me suis rendu compte plus tard, que cela était une différence essentielle.
Dans le même temps, je me suis mis à bâtir des argumentaires structurés. J'ai constaté ce fait au bout de quelques années, quand j'ai constaté que dans ma vie professionnelle, j'étais devenu capable de mieux argumenter, et surtout de baser mes propos sur des arguments clairement établis. J'ai aussi eu la chance, à un moment de ma carrière professionnelle que certains de mes chefs pensaient que l'apprenti-manager que j'étais avait besoin d'avoir une formation un peu plus poussée sur le sujet, et ils m'ont envoyé à des formations destinées à renforcer cet aspect. Ces formations m'ont aussi permit de bien comprendre les différences entre des faits, des opinions et des sentiments. Ces bases théoriques m'ont été très utiles. De manière ironique, cela m'a aussi permis de comprendre que l'aspect managérial était parfois un peu fragile chez certains de mes supérieurs... Surtout ceux qui se vantaient de n'avoir jamais eu besoins de formations pour devenir de bons formateurs.

Il se trouve aussi que j'ai une approche plutôt scientifique que littéraire de pas de choses. Tout cela m'a fait prendre petit à petit ce que que j'ai su nommer plus tard comme étant
l'effet Dunning-Kruger. J'ai constaté qu'un nombre assez élevé de mes contradicteurs ressentaient une certaine arrogance de ma part, alors que je me sens de plus en plus remplis de doutes. Vous devez penser que je crois que Jean-Paul Demoule a raison ? La réalité est que je n'en sais rien et que je me pose des questions, mais ce qui me picote ce sont ceux qui préfèrent tourner Untel ou Telautre en ridicule plutôt que de répondre à la réalité du questionnement. Donc, je m'accroche pour qu'ils donnent des réponses sur le fond, et pas sur la forme. Et c'est cela, en fait, qu'ils n'aiment pas et qui les fait prétendre que je suis arrogant. Mais, ma prétendue arrogance est juste le reflet de leur incapacité à répondre sur le fond, car ils sont dans des croyances et qu'ils ne le perçoivent pas.
Alors oui, j'ai évolué. J'ai compris que nos ancêtres étaient des humains comme nous avec des doutes et des croyances, comme nous pouvons en avoir. Là, et il me semble important de le signaler, j'ai failli écrire : "J'ai compris que nos ancêtres étaient des humains comme nous avec nos doutes et nos croyances". Le Narduccio d'il y a 20 ans l'aurait écrit de la seconde manière. Celui d'aujourd'hui perçoit très bien qu'ils avaient des doutes et des croyances, mais ce n'étaient pas les mêmes que les nôtres. Je peux essayer de comprendre les différences, mais je ne ferait que de me rapprocher de leurs vérités sans jamais être sûrs que ce sont bien celles-là. J'ai appris que l'époque médiévale était plus complexe que la caricature que j'avais en tête. Que toute la préhistoire est bâtie sur l'évolution du cerveau humain et qu'il a fallu que nos ancêtres perçoivent et comprennent certaines choses avant de pouvoir en réaliser d'autres. J'ai appris que là au le néophyte parle de "stratégie", le connaisseur regarde la logistique qui a permis de vaincre (ou pas).
Bref, j'ai multiplié mes connaissances, mais aussi ma capacité à comprendre le monde. Et j'en remercie les forums de discussions, mais aussi les intervenants qui m'ont poussé à me remettre en cause.
Donc, mon évolution vient du fait que j'ai compris que la réalité est bien plus complexe. Je vais vous donner un exemple précis sur ce qui parfois me gratte dans ces histoires de linguistique et d'archéologie. Je suis tombé il y a environ 10 ans, sur la traduction d'une publication scientifique allemande qui se posait des questions sur le peuplement d'un coin assez particulier d'une zone géographique restreinte en Europe centrale. J'avais sauvegardé cet article sur un disque dur, mais, il a été endommagé et j'ai tout perdu, et cela me chagrine, car je n'ai plus jamais été capable de retrouver cette source très enrichissante à mes yeux. Bref, quand vers le 6ème ou 7ème siècle de notre ère des prédicateurs chrétiens sont allés répandre la Bonne Parole chez les peuplades païennes, ils ont rapporté que dans telle partie de cette zone, il y avait des tribus de langue et culture slaves, dans telle autre des populations de langue germanique, et si on remonte au nord de quelques dizaines de kilomètres, ce seraient des baltes. Il y a eu des fouilles archéologiques. Les archéologues ont retrouvés plusieurs peuplements, mais là où les témoins de l'époque identifiaient assez facilement des populations différentes, eux retrouvaient un seul continuum de peuples qui semblaient partager une culture commune. Ils trouvent quelques différences, mais elles paraissent minimes, et dans certains cas, ils auraient eu tendance à placer la tribu concernée dans une autre case que celle qui correspond aux témoignages antiques.
Il est important de bien comprendre que ce qui rend la situation complexe, c'est l'articulation entre les témoignages des contemporains qui identifient justement les populations en fonction de la langue parlée. Untel parle un parler slave que les contemporains nomment polonais, mais qui est devenu différent de ce que nous nommons polonais, car il y a plus de 15 siècles d'évolutions, le contemporains le classe automatiquement en tant qu'appartenant à une tribu proto-polonaise et il rapporte qu'il vit d'une manière qu'il qualifie de proto-polonaise. Sur le terrain, les archéologues constate qu'il se fait enterrer de manière similaire à ses voisins baltes ou germaniques, qu'il est accompagné par des artefacts très similaires à ceux de ses voisins baltes ou germaniques. Parfois, certains artefacts sont plus identiques à ceux d'une tribu germanique située à quelques centaines de kilomètres de là, qu'à ceux d'une autre tribu de ce qu'on pense être la zone de peuplement slave.
Ensuite, j'ai lu un autre article, que j'ai aussi perdu, où on montrait que l'appartenance à un peuple ou à une langue dans certaines zones multi-ethniques dépendaient d'un tas de facteurs, dont des facteurs fiscaux ? Les "allemands" étaient exemptés d'impôts dans telle ville car le prince du coin voulait attirer des artisans "allemands" ? Hé bien, en quelques années, des quartiers entiers devenaient "allemands", avec des gens qui allaient réussir à changer d'appartenance ethnique. De tchèques, ou polonais, en 3 ou 4 générations leurs familles devenaient allemandes. L'appartenance du pouvoir politique changeait ? Et bien les taux des diverses populations évoluaient plus vite que si on ne tenait compte que des immigrants signalés dans les décomptes.
Et j'ai compris quelque chose que je considère de fondamental. J'ai eu des différents avec certains tenants d'une vision restrictive des apports de la génétique. En fait, que ce soit en terme de peuples ou langues, ils perçoivent les peuples comme un tout unis, et quand un peuple bouge, évolue, pour eux c'est ce "un" qui va changer d'endroit. J'ai une vision très différence, un peuple est une somme d'individus qui ont chacun une histoire particulière. Caricaturalement, vous trouverez que certains, sur ce forum, prétendent qu'il n'y a pas de gène "allemand", "français", .... et c'est vrai. Car une signature génétique particulière n'est jamais comprises à 100% dans un peuple unique, et elle n'est uniquement spécifique à ce peuple. L'appartenance à un groupe humain donné est aussi une chose culturelle, mais relève parfois d'un choix "fiscal" clairement assumé par ceux qui font le choix de changer de groupe.
J'espère que vous comprenez mon point de vue, car je me rends compte que sur le coup, là je suis un peu brouillon. En fait, les "indo-européens" pour en revenir à eux, sont un tas de gens qui ont partagé à diverses époques une culture et une histoire commune. Certains ont décidé de rester là où ils étaient. D'autres, pour commercer, pour combattre, pour "vivre", ont décidé de changer de lieu. Un des très nombreux exemples pourraient être
les galates. Voici des celtes qui pour diverses raisons, mais sûrement parce qu'ils n'étaient pas à leurs aises là où ils vivaient, décident d'émigrer. En fait, une bonne part d'entre eux étaient sûrement des mercenaires et ils vont là où leur emploi est mieux payé, et ils partent avec femmes et bagages. On connait assez mal de quelle région ils sont partis. Ils vont passer par la Gaule cisalpine, ils semblent venir des Balkans, ou des environs du Danube.. Sauf que pour les archéologues et les historiens, les 300 000 personnes qui partent ne semblent pas disparaitre d'un coup de la population. Il n'y a pas un endroit de l'espace celte où tout à coup une population entière a quitté. En fait, il y a des gens provenant d'une zone assez importante qui décident de se grouper, de suivre un chef pour aller vendre leur science de la guerre en espérant en vivre mieux que s'ils restaient sur la terre de leurs ancêtres. C'est un groupe humain qui s'est constitué pour la circonstance et qui n'existait pas avant qu'il ne se constitue. Et ce schéma semble correspondre à la situation qu'on va vivre durant toutes les "invasions" barbares. Pour chacune des tribus de la zone de départ, ça va être une ou deux familles qui s'en vont. Sûrement des cadets, la terre restant aux aînés, mais personne n'en est sûr.
Ce groupement de circonstance va permettre le déplacement de populations sur des milliers de kilomètres car de
Gaule cisalpine, les galates vont jusqu'en Asie Mineure. En chemin, ils s'allient avec diverses populations concernées. Certains vont rebrousser chemins et s'installer en tant que
volsques tectosages du coté de Cévennes et de Toulouse. De gaulois cisalpins, ils sont devenus des germano-celtes ... La majeure partie du groupe initial, mais aggloméré avec des représentants d'autres groupes croisés en chemin, finissent par créer un État en Asie mineure, la Galatie.

Vu la durée de l'aventure, ils ne laissent aucunes traces sur le plan linguistique, à ma connaissance, il n'y a pas une zone d'Asie mineure où il y aurait un patois imprégné de vocabulaire celte ou gaulois. A ma connaissance, il n'y aurait pas de particularités génétiques dans la région considérée qui permettrait à certains de se prétendre descendants des galates. Des cas comme celui-là on en connait plusieurs historiquement. Ce n'est pas un peuple uni culturellement , génétiquement, linguistiquement unis qui se déplace de manière uniforme. Le "Narduccio" d'il y a 20 ans aurait pu le croire, celui d'aujourd'hui sait que ce n'est pas le cas. Il y a une masse d'individus qui pour diverses raisons est allé voir ailleurs si l'herbe qui y poussait été plus verte. S'ils proviennent majoritaire d'une zone géographiquement assez bien limité, il s'agit en fait d'un agrégat d'individus qui se retrouvent à un moment à partager une histoire commune. Tous ne font pas l'intégralité du voyage. En fait, l'histoire qui voudrait présenter aussi bien les Galates, que les Wisigoths, les Francs, les Doriens, ... comme un peuple unique qui partage une et une seule histoire, culture, langue, et signature génétique serait simplement une caricature de la réalité. Une caricature qui tient parce que nous n'arriverons jamais à connaitre l'intégralité des histoire des dizaines ou centaines de milliers d'individus qui constituent ces groupements humains.
Voilà ce que j'ai appris depuis que je fréquente Passion-Histoire, c'est que ce sont les individus qui font l'histoire, pas les groupes. Que ces groupes soient des tribus, des ethnies, des peuples, des nations, ... En fait, ils ne sont que la somme d'un certain nombre d'individus qui ont décidé pendant un certain temps de partager des expériences en commun. Ce qu'ils partagent contribue à forger leur identité commune, mais ils ne sont pas inféodés à celle-ci. Les circonstances peuvent les amener à décider de changer de culture, de langue, de religion. Et les historiens ne perçoivent que l'écume des choses. On voit ces groupes car on n'a pas les outils nécessaires pour voir les individus. On perçoit parfois quelques individus qui arrivent à laisser leur nom, voire leur titre dans les livres d'histoire. Par exemple, on connait 2 chefs celtes qui se nomment
Brennus. Plutôt à un nom précis d'un individu, on pense que ce serait en fait un titre. Bref, on perçoit l'individualité comme étant un exception, et donc, pour l'historien, le groupe semble être une unit clairement identifiée. Sauf que ce groupe perd des individus et en gagne d'autres, et cela en permanence. Et je pense que c'est fondamental quand on veut comprendre certaines périodes de notre histoire. Dont la préhistoire et comment l'Europe s'est peuplée et que la plupart des européens ont fini par parler des langues de la famille indo-européenne.
Désolé d'avoir été si long.