Walsingham a écrit :
CEN_EMB a écrit :
Oui, il y a de ça :
3) la concentration des efforts plutôt que leur dispersion sur un front de 1800 kilomètres, de la mer Blanche à la mer Noire, était un prérequis indispensable : la Wehrmacht aurait atteint Moscou sans difficulté si elle n'avait essayé de prendre aussi Leningrad et Kiev
Se concentrer sur Moscou n'aurait-il pas ouvert les flancs ? Avec par exemple les troupes en Ukraine qui seraient remontées pour couper ou au moins perturber les lignes de ravitaillement allemande ? (je suis à peu prêt certain que vous aviez abordé ce point dans une autre de vos (toujours instructive) réponse dans un autre post sur Barbarossa, d'où mon étonnement)
Je suis heureux d'être lu avec une telle attention
Il faut différencier la conception générale de l'opération, qui exige la concentration des efforts et non leur dispersion sur plusieurs axes (1) ; de la conduite effective de celle-ci, en fonction de la perception du déploiement ennemi et de ses réactions au sien propre (2).
Pour moi, comme pour la campagne de France en 1940, il aurait fallu concentrer tous les moyens mécanisés sur un unique fuseau (qui aurait pu être large), orienté grossièrement sur l'axe Varsovie-Minsk-Smolensk-Moscou. Pas ou peu de mouvements d'aile, dans les pays baltes ou en Ukraine, uniquement des forces de couverture et de fixation.
Le rouleau compresseur ainsi constitué aurait été inarrêtable : avec seulement un groupement blindé (la Panzergruppe 3 du général Hoth), les Allemands prennent Smolensk, à mi-chemin de leurs bases de départ et de Moscou, le 17 juillet 1941 (pour être clair : en 25 jours). Ils s'y arrêtent en raison de l'usure matérielle et humaine de ce groupement, des délais mis par l'infanterie à le rejoindre et d'une très violente série de contre-attaques soviétiques qui s'étendent sur plusieurs semaines. Ils vont rester sur ces positions, plus ou moins, jusqu'au mois de septembre 1941.
Si au lieu de la seule Panzergruppe 3 vous en aviez eu une autre, vous régliez ces trois problèmes (potentiel disponible suffisant pour relancer l'attaque malgré l'usure, contre-attaques soviétiques plus aisées à mater voire impossible à lancer en raison du tempo allemand, qui ne marque pas d'arrêt). Moscou aurait été à portée des Panzer dès août 1941, virtuellement (ce qui n'est pas illogique ni même particulièrement rapide : avec une attaque déclenchée le 24 juin, Moscou est atteinte par l'armée de Napoléon en septembre 1812, à pied !).
Se pose toutefois un nouveau problème d'importance : en saturant un seul fuseau de forces mécanisées, vous en compliquez la logistique, comme les Allemands le verront bien lorsqu'ils découplent les 1. et 4. Panzerarmeen vers le Caucase en juillet 1942 et qu'ils s'aperçoivent que leurs flux logistiques sont insuffisants à les ravitailler convenablement, les forçant à ralentir voire à marquer l'arrêt. Mais avec une distance relative réduite vers leurs bases logistiques de Pologne et de Prusse-orientale et un effort logistique particulier sur ce fuseau relativement bien garni en voies ferrées ou en axes routiers (notamment la seule voie bitumée d'importance de l'ouest de l'URSS), je pense que ce problème était surmontable.
Et les ailes, donc ? Les forces soviétiques déployées en Courlande et en Ukraine auraient été disponibles pour contre-attaquer et tenter de couper le "doigt-de-gant" allemand, des pointes aventurées tel un couteau pointé sur Moscou, c'est une évidence. Mais :
1) je n'ai pas dit qu'il ne fallait pas mettre de forces pour essayer de les fixer sur leurs positions, justement, il fallait laisser des unités d'infanterie pour les y animer et en retenir le maximum, voire des progressions blindées secondaires, impliquant des petits éléments mécanisés pour des objectifs d'intérêt secondaire ;
2) laisser les Soviétiques sur les frontières de la Roumanie et de la Prusse-orientale, c'est les inciter à attaquer des objectifs extrêmement alléchants (le coeur historique prussien, le pétrole roumain) pour lesquels ils auraient maintenu des forces conséquentes dans l'espoir de divertir des moyens de la poussée principale allemande, voire de porter des coups très douloureux à l'effort de guerre allemand. Du coup, les forces mobilisées pour contre-attaquer vers le sud-est (depuis la Baltique) ou le nord (depuis l'Ukraine) auraient été à mon sens limitées et insuffisantes pour menacer la progression sur Moscou, celle-ci bénéficiant de moyens suffisants pour parer à ces menaces grâce à son volume.
Il y a bien sûr un risque (que Königsberg soit menacée, que Berlin soit bombardée, que le pétrole roumain soit durement attaqué, par les cieux comme cela a été le cas mais aussi par une offensive terrestre en Moldavie) mais rien qui ne soit gérable :
a) les Soviétiques ne brillent pas, à l'été 1941, par leurs capacités à organiser des offensives (le processus est trop complexe pour eux, avec des corps mécanisés bien trop massifs pour être efficacement déployés et contrôlés) ;
b) les divisions d'infanterie allemandes, peu capables de suivre le rythme effréné des Panzer, sont en revanche parfaitement taillées pour s'opposer à une telle attaque sur des positions préparées, bénéficiant des avantages du terrain (lignes organisées depuis l'automne 1940, cours d'eau comme le Prout) ;
c) en menaçant directement le "centre de la toile" logistique soviétique représentée par Moscou, on coupe aussi les possibilités de transit Nord-Sud et on affaiblit la capacité à constituer une masse de manœuvre en Livonie ou en Ukraine. Toute bascule d'efforts s'en trouve compliquée voire impossible, surtout que la priorité aurait été évidemment donnée à la défense de Moscou ;
d) le terrain est très peu favorable à une attaque depuis le Nord en direction de Smolensk (la Panzergruppe 3 s'en est aperçue à ses dépens, dans l'autre sens) ;
e) à la guerre, on obtient peu en ne risquant rien, et beaucoup en s'exposant : ainsi, le pétrole roumain, s'il est déterminant dans la perspective de 1942, n'était pas indispensable en 1941, et sa protection n'est pas cruciale (pas plus que ne l'est celle de Königsberg) - et les Soviétiques n'auraient pu en réduire l'extraction à néant de toute manière, tout juste la réduire dans des proportions temporairement acceptables.
Last but not least, la progression dans le fuseau principal, vers Moscou, une fois la chaussée d'Orcha franchie, Smolensk prise et l'avance sur Moscou maintenue fin juillet 1941, aurait pu se permettre de divertir des moyens mécanisés sur les ailes pour se protéger. Tandis que deux Panzergruppen auraient repris l'offensive vers l'Est et la capitale soviétique que plus rien ne défendait, deux autres auraient été, enfin, découplées vers les objectifs secondaires que sont Leningrad et Kiev. En attaquant sur l'axe Vitebsk-Pskov vers Leningrad, ou Mogilev-Gomel-Tchernigov vers Kiev, les forces soviétiques encore présentes sur les ailes qui n'auraient pas été fixées sur la ligne de contact du 22 juin 1941 auraient été attirées par ces attaques divergentes plutôt que sur l'objectif principal, couper le fuseau allemand. C'est d'ailleurs plus ou moins ce que les Allemands ont fait quand la Panzergruppe 3 a été envoyée épauler la Panzergruppe 4 dans son attaque sur Leningrad, et la Panzergruppe 2 pour tendre la main à la Panzergruppe 1 dans la bataille de Kiev.
Ainsi, pour résumer :
1) l'essentiel des moyens mécanisés allemands aurait dû initialement se trouver dans le fuseau central (Varsovie-Minsk-Smolensk-Moscou) - disons 15/17 divisions blindées et 10/12 divisions motorisées, au lieu de 9/17 et 6/12 respectivement au sein de la Heeresgruppe Mitte dans le plan "historique" (pour "Taifun", les Allemands déploient quatorze divisions blindées sur 19 et six divisions motorisées sur treize sur un fuseau étroit, à titre de comparaison, mais elles sont majoritairement affaiblies) ;
2) seules des forces de couverture et capables d'attaques secondaires limitées auraient été maintenues dans les fuseaux latéraux, avec pour mission de tenir leurs positions et de fixer celles qui leur font face (dont deux divisions blindées et deux motorisées qui auraient pu constituer une attaque secondaire en direction de Vinnitsa ou dans les pays baltes jusqu'à la Dvina, plus deux divisions blindées et une motorisée en réserve comme historiquement) ;
3) une fois Smolensk atteinte et la progression vers Moscou relancée sans qu'il n'y ait plus guère d'obstacles devant elle (à part les unités frénétiquement rameutées par les Soviétiques, comme en octobre 1941, mais avec des conditions météorologiques autrement optimales, celles de juillet-août 1941), procéder à des attaques divergentes destinées à couvrir la progression principale vers Moscou et à menacer des objectifs d'intérêt majeur comme Leningrad et Kiev.
C'est seulement ainsi que l'avantage essentiel de l'Armée rouge - son nombre et sa capacité à se régénérer dans la profondeur des immensités soviétiques - aurait pu être annulé par le tempo des opérations. Cela impliquait certes un certain nombre de risques (sur la Prusse-orientale, sur la Roumanie) qui tous étaient acceptables car leur dangerosité limitée et les moyens pour y parer suffisants sans gréver l'effort principal.
Ainsi, les Allemands auraient pu être devant Moscou en août 1941.
Le point critique de mon raisonnement est la capacité logistique à alimenter une telle masse de manœuvre mécanisée sur un fuseau étroit sur une telle profondeur.
Sa faiblesse est qu'atteindre Moscou n'est pas la prendre, et que la prendre n'implique pas nécessairement l'effondrement soviétique (même si c'est une possibilité à considérer, la perte de Moscou étant militairement le coup le plus dur qu'auraient pu porter les forces allemandes à l'Armée rouge).
En revanche, en juillet 1941, les moyens allemands devant Smolensk sont tout juste suffisants pour relancer l'effort, et l'eussent-ils fait vers Moscou que le risque d'une contre-offensive venue d'Ukraine aurait été majeur sans qu'ils soient capables de générer une masse de manœuvre suffisante pour la repousser. Donc, le maintien de la Heeresgruppe Mitte sur ses positions et l'envoi de la Panzergruppe 3 vers Velikie Luki, de la Panzergruppe 2 vers Kiev, se justifiaient pleinement d'un point de vue opérationnel, quand bien même cela me semble problématique d'un point de vue stratégique.
Est-ce que la différence vous paraît claire ?
En tout état de cause, comme on le voit, pour moi, le plan allemand historiquement mis en œuvre était loin d'être "excellent" - il contient en germes les ingrédients de l'insuccès de l'automne 1941.
CEN EMB