Après avoir analysé les relations anglo-allemandes de 1870 à 1914,
viewtopic.php?f=45&t=42148Je vais à présent analyser les relations franco-allemandes sur la même période.
Je compte ensuite rédiger de nombreux articles sur les causes de la première guerre mondiale avec à chaque fois un lien pour s’y retrouver tant la période est compliquée, les personnages et les évènements nombreux.
Comme à mon habitude, j’analyserai ces relations point par point.
I. La perte de l’Alsace-LorraineLa perte de l’Alsace-Lorraine fut perçue comme un traumatisme national par les français et sera souvent mis en avant pour expliquer leur profond ressentiment contre les allemands.
Les français considérèrent le conflit de 1870-1871 comme le point de départ de l’antagonisme les opposant à leurs voisins d’outre-Rhin. Ils oublièrent un peu vite que c’est la France tombée dans le piège bismarckien qui déclencha la guerre en Juillet 1870 suite à la dépêche d’Ems. Elle fournira une occasion rêvée à la Prusse de réaliser à son profit l’unité allemande.
II. Les allemands ont aussi beaucoup reproché à la FranceDepuis leur sursaut libérateur de 1813, les allemands entreprirent une relecture de leur passé de ce qu’avait été au cours des siècles précédents, la politique française à l’égard de l’espace germanique.
Après l’échec des mirages italiens au XIVème et XVème siècle, la France monarchique se tourna vers les terres d’Empire étendues de la Meuse au Rhin. Dès le règne d’Henri II, la perte du Milanais est compensée par l’annexion de Metz, Toul et Verdun et au siècle suivant, Richelieu cherche à entretenir « la division des Allemagnes » durant la guerre de 30 ans. L’annexion de l’Alsace, le coup de force contre Strasbourg et la mise à sac du Palatinat par Louis XIV laisseront des souvenirs douloureux outre-Rhin ranimés 2 siècles plus tard quand s’affirmera le sentiment national.
L’on pourrait aussi y ajouter l’annexion de la Lorraine en 1766 au bénéfice de la France résultat de savantes combinaisons diplomatiques.
Enfin, les espoirs déçus nés de la révolution française dont les élites dirigeantes étaient souvent acquises aux lumières ainsi que l’humiliation imposée à la Prusse après Iéna préparent le processus qui conduira à la réalisation par Bismarck de l’unité allemande.
III L’impact immédiat du traité de Francfort suite à la défaite française de 1871Dans les mois qui suivirent la conclusion du traité de Francfort-ratifié le 18 Mai 1871, la méfiance demeure la règle entre les 2 pays. Les allemands s’inquiètent du vote de la loi militaire de Juillet 1872 qui doit fournir à l’armée française des effectifs suffisants.
Ils s’agacent également du paiement anticipé des lourdes indemnités dues au vainqueur allemand ce qui entraine une évacuation plus rapide des territoires occupés. Les allemands ont mal anticipé les ressources financières de la France.
Le choix fait par Adolph Thiers d’adopter le régime républicain rassure Bismarck. Il pense qu’aucune monarchie européenne ne cherchera dans ces conditions l’alliance avec la France.
L’entente des trois empereurs allemands, russe, hongrois d’octobre 1873, le traité de réassurance germano-russe contribue à maintenir l’isolement de Paris.
IV Pour autant, les relations franco-allemandes seront-elles marqués par une forte hostilité entre 1870 et 1914 IV. 1 Les moments de détenteMalgré le blocage qui interdit à la France toute reconnaissance du fait accompli en Alsace-Lorraine, il y eut de véritables épisodes de « détente» au cours desquels du gouvernement de Jules Ferry à celui de Joseph Caillaux un avenir différent aurait pu être imaginé.
Le développement économique et l’essor des échanges établirent entre les 2 pays des relations financières et commerciales qui contribuèrent à un rapprochement des intérêts, à défaut d’une relation entre les 2 peuples.
Bismarck favorisa les entreprises coloniales françaises pour détourner le coq gaulois de la frontière des Vosges. Il encouragea également l’établissement du protectorat français sur la Tunisie ce qui représenta l’avantage d’éloigner Rome de Paris. Il soutient les ambitions françaises au Maroc. L’amiral Benjamin Jaurès qui représente la France à la conférence de Madrid en 1880 témoignera « Si nous avons pu sauvegarder tous nos intérêts, nous le devons en partie à l’appui constant que m’a prêté le plénipotentiaire d’Allemagne. » Le chef du gouvernement français Charles de Freycinet remercie même le chancelier pour son soutien.
Prudent en Egypte, ou il ne souhaite pas s’aliéner les anglais, Bismarck fit preuve de bonne volonté vis-à-vis de Paris dans les affaires de Madagascar et du Tonkin.
Jules Ferry affirme dans une correspondance « qu’il faut bien entrer en rapport avec l’Allemagne et qu’il est utile d’avoir avec elle des ententes sur les terrains d’intérêts communs ». Il n’est cependant pas question d’une alliance formelle car la question de l’Alsace-lorraine l’interdit.
Des accords sont par ailleurs conclus dans le domaine colonial au Congo, et au Cameroun. Les 2 pays soutiennent la cause des boers n lutte au Transvaal contre la puissance britannique. D’autant que la crise franco-anglaise de Fachoda a replacé les perfide Albion dans la rôle de l’ennemie héréditaire côté français.
En 1900, les 2 pays interviennent côte à côte dans le cadre de l’expédition internationale qui placée sous le commandement allemand est conduite en Chine pour y mater la révolte des Boxers.
Cette même année, l’Allemagne accepte de participer à l’exposition universelle de Paris alors qu’elle était absente de celle de 1889.
IV. 2 la montée des tensionsLe départ de Jules Ferry aux cris de « A bas le prussien » en 1885, la démission de Bismarck en 1890 et les projets mondiales du jeune empereur Guillaume II créent des conditions nouvelles.
L’alliance franco-russe de 1893, le rapprochement franco-anglais préparé par le ministre des affaires étrangères Delcassé perçue comme une volonté d’encercler le Reich font monter la pression en Allemagne.
En 1905, l’empereur Guillaume II prononce un discours sur Tanger au cours duquel il présente l’Allemagne comme protectrice des pays musulmans face aux ambitions coloniales françaises et anglaises et leur troc Maroc (pour la France) Egypte (pour l’Angleterre).
Le réveil de la question de l’Alsace-Lorraine, la loi de 1913 portant à 3 ans la durée du service militaire et l’avènement d’une nouvelle génération nationaliste incarnée par Charles Péguy, Ernest Psichari créent un climat plus propice à l’acceptation de la guerre en France.
Depuis 40 ans, l’école française diffuse largement aux générations nouvelles l’espoir de la Revanche perçue comme l’aboutissement inéluctable du « roman national ». Dans l’école républicaine et laïque et obligatoire, la patrie doit jouer le rôle jadis imparti à Dieu. Le succès remporté par des livres tels que « Le tour de France par 2 enfants » complété par des abécédaires patriotiques sans oublier les livres exaltant l’armée offerts lors de la distribution des prix illustrent bien cette situation.
Les chansonniers ne sont pas en reste et ne manquent pas une occasion de mettre en scène les allemands alliant sottise et brutalité. Les images et les préjugés ainsi entretenus et reproduits ont certainement contribué à la fabrication d’une figure de l’ennemi qui a elle-même joué dans l’acceptation de l’idée selon laquelle la guerre entre les 2 peuples était inévitable.
Les français n’étaient sans soute pas prêts à se ruer sur l’Allemagne pour se venger de l’affront de 1871. Mais ils étaient préparés à cette perspective d’une guerre perçue comme légitime parce que défensive à l’affronter résolument.
ConclusionMalgré le développement économique, les échanges commerciaux entre les 2 pays puis les questions coloniales réglées, l’antagonisme franco-allemand était insurmontable entre 1870 et 1914 me semble-t-il. La seule façon d’éviter la guerre aurait été de trouver un arrangement pour la cession de l’Alsace-Lorraine par l’Allemagne au bénéfice de la France contre des colonies en Afrique. Mais l’Allemagne pouvait-elle faire cette cession étant donné qu’elles étaient historiquement allemande jusqu’au XVII et XVIIIème siècle ?
Pour conclure, je ferai une citation de Bertrand Joly historien français spécialiste de la période « Il est donc clair qu’entre 1871 et 1914, les authentiques revanchards n’ont été qu’une infime minorité, un groupuscule si dérisoire qu’il peut paraitre abusif de leur accorder la moindre attention. On ne peut nier d’autre part que ces personnalités peu nombreuses mais décidés ont remarquablement su occuper le terrain culturel et profiter de la ferveur patriotique ambiante pour se parer d’une légitimité et obtenir une audience sans rapport avec leur importance véritable. Et s’ils ont réussi jusqu’à un certain point dans cette entreprise, c’est que le pays si pacifique qu’il fut leur reconnaissait malgré tout une certaine représentativité. »