Liber censualis a écrit :
Pierma a écrit :
Les massacres tribaux étaient monnaie courante en Afrique, et à la même époque il s'en produisait couramment entre hutus et tutsis au Burundi voisin.
Etait-ce bien une guerre "tribale" ou "ethnique", je vais retrouver où je l'ai lu, mais il me semble que les Tutsis étaient aux Hutus un peu ce que les francs étaient aux gaulois dans l'imaginaire des historiens modernes, c'est à dire une aristocratie régnant sur son peuple. Car Tutsis et Hutus ont la même langue, la même religion... Il semblerait que ce soit les colonisateurs allemands puis belges qui, forts de leurs théories racialistes, auraient favorisé l'émergence "d'ethnie" ... Je vais rechercher mes sources.
C'est parfaitement exact. Jean Hatzfeld raconte que ce furent les colonisateurs belges, et spécialement les missionnaires (les Pères Blancs du Saint Esprit, dans ce cas) que ce sont ces premiers administrateurs du Rwanda qui ont décrété que les Tutsis, réputés plus grands et plus beaux, étaient également supérieurs aux Hutus sur le plan de l'intelligence.
l'époque était aux théories raciales...
La colonisation belge a ainsi promu et alphabétisé d'abord les Tutsis, qui sont devenus une ethnie privilégiée, les seuls qui ont pu éventuellement fournir des petits fonctionnaires.
Cela a créé chez les Hutus les frustrations et la haine qu'on peut imaginer, et dès l'indépendance acquise, les Hutus composant je crois près de 80% du peuple rwandais ont pris et confisqué le pouvoir, les Tutsis passant à un statut de citoyens de seconde zone, dans une cohabitation devenue difficile. D'où l'existence dans les années 90 d'une rébellion tutsie en armes, chassée du pays, je crois, en tous cas qui préparait au Congo Est voisin son grand retour en armes au pays.
Mais ce n'est pas la seule source de conflits : les Tutsis sont des éleveurs, alors que les Hutus sont agriculteurs. D'où, dans les villages, des conflits incessants à propos de bêtes piétinant des plantations, ou de plantations empiétant soudain sur les pâtures des voisins. Bref ce n'était pas le grand amour...
Du coup Jean Hatzfeld qui interroge les assassins s'entend raconter que jamais ils n'ont aussi bien mangé que pendant la période du génocide : les troupeaux des Tutsis assassinés ou se cachant dans la nature restaient là en déshérence, et tous les soirs c'était donc barbecue général au café du village, pour des gens qui en temps ordinaire ne mangeaient que rarement de la viande. Le tout arrosé de bière (la bière nationale est une marque belge dont j'ai oublié le nom) qu'on pouvait s'offrir avec l'argent ou le résultat des maisons tutsies pillées. La fête !
Bien entendu, ces soirées heureuses faisaient suite à des journées moins reposantes où les paysans armés de machettes, avec parfois un ou deux miliciens armés d'un fusil, avaient battu les buissons, les collines ou les marais à la poursuite des Tutsis qui se cachaient.
"Chacun s'est mis en file derrière l'enthousiasme de tous les autres et nous sommes partis couper". La phrase m'a marqué. Ils ont une langue franco-belge qui a évolué avec des expressions locales et qui est délicieuse, ce qui ajoute au décalage avec l'horreur de ce qu'ils racontent. Jean Hatzfeld a consacré un de ses trois livres (j'ai oublié le titre) à interroger soit des prisonniers hutus en cours de peine - avec l'autorisation des autorités - soit des Hutus qui étaient déjà passés devant un "tribunal de réconciliation" pour confesser leurs fautes. C'est la grande originalité de ce génocide : les assassins parlent volontiers, et d'autant plus franchement qu'ils ont été pardonnés et ne risquent plus rien.
Tandis que les Tutsis survivants, qui ont concédé du bout des lèvres un pardon prudent, restent minoritaires, et croisent chaque jour tel ou tel dont ils savent qu'il a tué un parent ou un frère. Le pouvoir et les autorités étant désormais tutsies, grâce à la victoire du FPR, ils se sentent en sécurité, mais évitent de trop proclamer leurs sentiments, ne sachant pas de quoi l'avenir sera fait à long terme.