LCL_EMB a écrit :
Le fait est qu'une des différences essentielles entre le judéocide et le génocide rwandais réside bien dans le côté "artisanal" du second, qui ne présuppose guère plus qu'une préparation des esprits - mais à des fins génocidaires conscientes ? C'est bien la question ! - là où le premier exige des moyens et une méthode qui signent une préméditation évidente.
Là je ne suis pas d'accord.
A des fins génocidaires conscientes ? Quand des soldats ou des miliciens Interhamwee débarquent dans TOUS les villages (géographiquement, il y a eu quelques zones épargnées, ou moins touchées, je vais en reparler) pour donner les consignes de tuerie totale, commencer eux-mêmes les premières exécutions, et mener les chasses qui doivent se poursuivre jusqu'au dernier survivant Tutsi, s'il ne s'agit pas de volonté génocidaire consciente, comment faut-il nommer les choses ?
Il faut justement éviter de se laisser berner par le caractère artisanal de ce génocide, c'est une de ses caractéristiques, qui a pris tout le monde par surprise (les occidentaux évidemment, mais jusqu'aux Tutsis eux-mêmes qui se sont réfugiés dans des endroits comme les églises, espérant que les choses se calmeraient : les malheureux ont sous-estimé la détermination et le caractère organisé de la tuerie générale : il ne devait pas rester de survivants.) c'était une première dans l'histoire - j'ai dit que chaque génocide, dans l'histoire, constitue une surprise lorsqu'il se produit, le premier sentiment général étant l'incrédulité - mais les caractéristiques d'un génocide sont bien là.
Il me semble, sans en être certain, que les zones moins touchées sont celles où les Tutsis étaient en nombre, sinon en majorité, ce qui constitue une difficulté dans un génocide où les tueurs assassinent leurs voisins. Car c'est une autre caractéristique inédite de ce génocide. (Il y a aussi les caractéristiques géographiques de certains secteurs qui les ont rendus plus difficiles à "traiter".)
Le caractère artisanal de l'opération implique une autre caractéristique : à part la préparation des esprits, comme tu le dis (commencée de longue date) elle n'a demandé qu'une préparation qui pouvait être réalisée et déclenchée en très peu de temps. Il y a évidemment préparation et organisation, mais en gros elle se limite à affecter des groupes à des zones, pour simplifier, même si c'est un peu plus compliqué dans les faits : déclenchement simultané, transports, munitions... (Et plus organisé en ville, là où il y a des listes et des adresses à préparer pour les "personnalités", à supposer qu'elles ne soient pas dressées de longue date par les extrémistes des milices.)
Si on veut comparer avec le génocide des Juifs, le caractère soudain et total de la tuerie me semble encore plus violent au Rwanda que pour les Juifs allemands, par exemple. ça ressemble davantage au traitement réservé à la Pologne où aux régions "traitées" par les Einsatzgruppen dans la foulée de Barbarossa, encore que là aussi la tuerie ne se produit pas simultanément partout, loin de là. Dans le génocide des Juifs, les nazis ont dû s'y reprendre en plusieurs étapes pour arriver à une "solution" adaptée : les camps d'extermination. Disons qu'ils ont tâtonné, même si le mot peut choquer, devant l'ampleur de ce qu'ils ont entrepris. Rien de tel au Rwanda.
Non, ne nous laissons pas abuser par le caractère "artisanal" (en clair : à l'arme blanche essentiellement) de ce génocide : c'est précisément cette particularité, avec l'imbrication des populations, qui rend très faible la probabilité d'y survivre. (Les nazis auraient adoré pouvoir compter sur une telle implication de la population non juive - ce qui s'est effectivement produit dans certains endroits.)