Un nouveau post sur Hannibal, invalidant le passage au col de la Traversette, vient de paraître. Y figurent, pour la réfutation, des termes que je ne connaissais pas : ‘’soligène’’, ‘’percolation’’ ou ‘’cryoturbation’’. Plus simplement - et je répète certains éléments déjà évoqués - les deux textes majeurs de Polybe et Tite Live sur le sujet, parlent d’un bivouac punique au col considéré. Il faut estimer à environ un demi-kilomètre carré l’espace minimum suffisant pour le bivouac des quelques 30000 soldats avec leurs animaux. La Traversette est très loin d’offrir cela. C’est la mention, chez les deux historiens antiques, d’une récente chute de neige qui gêne aussi, car elle n’est mentionnée que côté italien. Elle aurait du l’être dès le côté ouest, à une telle altitude (rappel, plus de 2900 m). Elle semble pourtant avoir déjà fondu de ce côté-là, à l’arrivée d’Hannibal. Elle aurait dû persister à une telle altitude, même en versant plein sud.
En somme, nul besoin de faire appel à des considérations scientifiques pour réfuter la Traversette, les textes suffisent. Sauf que l’auteur du post en question, propose le col du Montgenèvre, bien plus bas en altitude (1850 m), comme passage pour le général africain. J’ai vérifié, cette personne estime que Polybe et Tite Live se trompent, en fait, au sujet de cette chute de neige (et de la neige éternelle présente côté italien, qui au Montgenèvre exposé quasi plein sud, ne pouvait persister d’une année à l’autre, même sur une période antique considérée comme un peu plus froide qu’aujourd’hui). Notre auteur, sauf son respect, ne s’embarrasse pas, lui qui nous écrit pourtant que la prospection sur le terrain ne sert à rien, et qu’il faut s’en remettre aux seuls textes. Dilemme.
Les textes à eux seuls ne peuvent suffire, la prospection in situ non plus. Pour tenter d’élaborer une hypothèse d’itinéraire alpin, seule l’articulation des deux est susceptible de réponses, ne croyez-vous pas ?
Tite Live nous place des huttes au sommet de rochers, en plein montagne. Ce fut le premier indice, dans ma jeunesse, qui me fit douter de certaines parties de sa version. Il y en eut d’autres, comme ce ‘’défilé’’ entouré de par et d’autre de précipices. Ces deux configurations sont impossibles, pour qui connait un peu le milieu montagnard.
C’est pour cela qu’à mes yeux, seul Polybe me paraissait la clé, à condition de le suivre au plus près, et considérer qu’en fait il n’a rien inventé dans sa narration riche en détails. Il a, au regard de ce que j’ai trouvé de mon côté, manifestement bien parcouru - en sens inverse, de retour d’Espagne - le trajet d’Hannibal, tout en faisant à l’occasion des mesures précises de distances.
Pour finir, je vous fais part d’un nouveau sentiment. Au temps d’Hannibal, les voies de circulation ancestrales des Alpes du Nord, schématisées par la future province romaine des Alpes Grecques, semblaient être depuis peu l’apanage des Gaulois, des Allobroges plus précisément, même si les territoire à traverser (Maurienne, Tarentaise) étaient peuplés par certains peuples montagnards comme les Graïocèles, les Médulles ou les Ceutrons, qui n’étaient eux-mêmes manifestement pas des Gaulois. Les Romains ne se risquaient pas militairement dans ce secteur nord, ne connaissaient pas bien cette voie de passage, utilisée notamment par les mercenaires Gésates sur la fin des guerres romano-celtiques. Pour preuve, P. C. Scipion est étonné par la célérité de l’armée punique dans les Alpes, alors que les Gésates eux-mêmes, par dizaines de milliers, ne traînaient pas en chemin pour aller épauler Boïens et autres Insubres en plaine du Pô (jusqu’à seulement sept ans avant l’arrivée d’Hannibal !). Hannibal a peut-être pris le même chemin que ces Gésates, chemin terrestre sans doute déjà emprunté depuis des siècles et des siècles, en partant de l’île de la future Bretagne (Royaume-Uni), par les marchands de minerais tel l’étain. Ceci permettait (dans un premier temps par voie terrestre, en attendant la future voie maritime) d’alimenter les forges du sud, jusqu’en Grèce voire en Perse, pour la précieuse fabrication du bronze.
Et qui sait ? Hannibal et les Celtes auraient-ils eu, pour leurs propres déplacements transalpins, une grande inspiration, devenue légendaire, la légende des légendes ? Si Hercule/Herakles (le Melqart des Puniques) a bien existé, n’est-il pas lui aussi passé exactement par le même parcours pour son voyage en Espagne, quelques siècles voire un millénaire plus tôt ?
Bien à vous.
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