Duc de Raguse a écrit :
Il n'y a que Clark que je ne juge pas légitime, car malhonnête, les autres non, mais je rappelais simplement qu'ils ne sont pas spécialistes de ces points (avouez que nous sommes ici loin des moeurs et de la sexualité de l'époque !) et que malheureusement on peut remarquer chez les auteurs récents (pas Becker) ce qu'on disait de certains moines copistes du Moyen-Ages : des fautes de copie et des erreurs chronologiques.
A force d'avoir mis sur la touche l'histoire politique, diplomatique et événementielle, au bénéfice de celle des concepts économiques, sociaux et culturels, depuis les années 1960-1980, il n'y a plus la même rigueur dans la retranscription et le respect des éléments factuels, un comble en histoire..., comme auparavant.
C'est très personnel, mais actuellement, je fais exactement l'inverse de ce qu'on me disait lorsque j'étais étudiant (aller le plus possible vers les auteurs les plus récents et laisser de côté les auteurs anciens et leurs ouvrages poussiéreux) : si j'ai un doute depuis une dizaine d'année je préfère aller du côté de ces auteurs, qui ont passé des jours et des jours dans les archives diplomatiques et militaires et qui ont fait ce travail avec minutie et rigueur plutôt qu'autre chose. Etant mauvais germaniste, je ne peux lire que du Fischer traduit, mais heureusement, en France, j'ai Renouvin (le même dont on me parlait comme un auteur vieillot et dépassé... c'est pourtant le meilleur).
Même Baechler n'est pas satisfaisant : il est spécialiste de l'Allemagne wilhelmienne et de Weimar, certainement pas du premier conflit mondial. Je l'ai pris hier pour essayer de savoir ce que Guillaume II pouvait savoir de la position anglaise du 25 juillet (visiblement pour Baechler rien parce qu'il est sur son yacht en mer du Nord, alors que Poincaré nous parle de courriers de Lichnowsky datant des 22 et 24 juillet biffés par le Hohenzollern sur le même yacht...) au 4 août.
Aussi, ne vous méprenez pas : en écrivant cela je constate simplement que coquilles et erreurs se glissent dans les récits de certains, ce qui devrait être impossible, puisque nous sommes simplement dans du factuel. Je ne dis pas : vous avez tort et j'ai raison parce que "mes" sources sont meilleures. Je cherche simplement à comprendre ces contradictions et ces explications à l'emporte-pièce ("fausse nouvelle", "erreur d'interprétation" cela signifie quoi ?).
Etant gamin j'avais appris benoîtement que les Anglais étaient intervenus uniquement pour protéger la Belgique du teuton, soit. Ensuite, à la lecture d'archives diplomatiques et de mémoires d'acteurs de la période, je me suis rendu compte qu'ils y pensaient finalement depuis le milieu des années 1900 et que la neutralité de la Belgique n'avait rien à voir avec ça.
Sentiment partagé : nombre d'historiens d'aujourd'hui ne vont pas dans les archives et pondent des synthèses de leurs lectures... Je pense que Le Naour pour écrire sa série sur 14-18 a fréquenté les archives françaises, ce qui n'est pas si mal.
Je fais une digression mais la mode aujourd'hui est à l'histoire des représentations... La trace laissée, l'image laissée au travers des ages, ce qui facilite le travail puisqu'il n'y a qu'à analyser des publications ou des œuvres d'art... Et que dire du manque d'imagination et d'audace des éditeurs qui publient les mêmes bios ou sur les mêmes sujets sans que de nouvelles avancées historiques ne le justifient. Comptez les bios de Churchill, Laval, Napoléon III etc...
Duc de Raguse a écrit :
Aujourd'hui, je souhaite savoir ce que savaient exactement les Allemands sur la position anglaise depuis l'envoi de l'ultimatum austro-hongrois à Belgrade et ce n'est pas possible d'avoir une réponse nette, avouez que c'est plus que frustrant !
Ce que j'ai lu des auteurs que vous savez laisse à penser que les allemands étaient convaincus du désintérêt des anglais pour cette question balkanique. Ils auraient bien aimé une prise de position franche, mais jusqu'au 29 étaient certains de la neutralité anglaise... Je continue de penser que s'ils avaient eu un doute avant la déclaration de guerre de l'Autriche, ils auraient agi autrement...
Duc de Raguse a écrit :
C'est bien ce télégramme de la fin de journée auquel je faisais allusion, mais c'est vrai que ce n'est pas exactement le même contenu.
Dans l'après-midi Lichnowsky aurait transmis tout d'abord à Berlin ce que vous décrivez, soit que les Anglais ne resteraient pas neutres si les Français étaient attaqués par les Allemands - c'est ce qui aurait conduit Guillaume II à appeler Moltke pour stopper la mobilisation qu'il venait d'autoriser -, puis il aurait transmis un autre télégramme en fin d'après-midi stipulant que les Anglais seraient neutres même si l'Allemagne était en guerre avec la France (Guillaume II exultait alors selon Baechler...)
En fin de soirée, finalement, nouvelles de Lichnowsky : l'Angleterre ne restera pas neutre si les Allemands violent la neutralité belge.
Et dans la nuit, télégramme de Georges V à son cousin : l'Angleterre ne négociera pas sa neutralité avec l'Allemagne (la Belgique est absente de l'équation). Ce serait là que Guillaume II aurait alors déclaré à Moltke : "faites ce que vous voulez".
Donc, dans "votre" trame, il manque finalement une étape par rapport à la "mienne" si je vous comprends bien ?
Oui, mes lectures n'évoquent pas le télégramme faisant état d'une neutralité inconditionnelle : et ce n'était pas vraiment une bonne nouvelle pour l'Allemagne qui aurait du attaquer la France sans passer par la Belgique...Mais au moment du 2e télégramme, je ne sais plus si la question belge avait été soulevée à Londres. J'ai lu (mais où ? je vérifierai) que la GB avait envisagé de tolérer l'invasion allemande si celle-ci ne s'étendait pas au tiers ou quart nord-ouest du petit royaume (en gros les côtes et leur hinterland).
Duc de Raguse a écrit :
Et vous ne trouvez pas cela étrange ?
Cette journée du 1er août aurait pu voir l'Allemagne changer d'avis - même si c'est finalement peu probable, au regard des jugements de Moltke et de Falkenhayn sur l'agitation inutile d'un empereur qui ne pouvait déjà plus rien faire puisque la mobilisation avait déjà commencé - et personne n'explique ces informations contradictoires envoyées par l'ambassadeur d'Allemagne à Londres ?
Je ne sais pas ce qui a pu se passer. Grey aurait il pris cette position pour respecter l'avis de son cabinet, puis au courant des manœuvres allemandes notamment au Luxembourg et se rapprochant de la Belgique, il aurait changé d'avis, et convaincu ses collègues de le suivre ? Mes lectures disent que personne parmi les intéressés n'a évoqué la question dans ses mémoires ou journaux...
Duc de Raguse a écrit :
Peut-être, mais très franchement ces tergiversations - lorsqu'on creuse un tout petit plus loin que le récit classique (et simpliste) de l'"engrenage" - ne me satisfont pas pour approuver cette construction de la "voie anglaise" face aux conséquences de la crise austro-serbe. Ils ne me paraissent pas si chevaleresques que cela : Bethmann a compris qu'ils ne resteraient pas neutres le 29 (mais pas Guillaume II visiblement, du moins pas avant le 1er août), alors qu'il n'était pas encore question de la Belgique, c'est donc que cette décision avait été déjà prise auparavant. Dans un dépêche du 24 juillet, Lichnowsky explique que Grey lui aurait fait comprendre que l'ultimatum austro-hongrois était honteux (c'était une annexion déguisée de la Serbie) c'était du jamais vu et qu'on ne pourrait pas laisser faire, chose à quoi (selon Poincaré) Guillaume II aurait biffé "ce n'est pas un Etat, c'est une bande de brigands..."
A lire ce que j'ai à me mettre sous la dent, le cabinet, la majorité libérale, les milieux financiers (dont la voix compte en GB je pense) étaient résolument anti-interventionnistes jusqu'au 1er ou 2 août. Rien de chevaleresque, ils étaient prêts à laisser l'Europe s'embraser. Grey a cherché à obtenir de l’apaisement parce que, pour lui, les intérêts de l'Angleterre sont sûrement que la paix règne sur le continent. Un membre du cabinet (Morley ?) aurait même déclaré qu'une victoire allemande ou une victoire russe était mauvaise pour l'équilibre européen dans les deux cas.
Duc de Raguse a écrit :
Bref, à lire certains on pense que la machine infernale pouvait être stoppée (le 28, le 31, le 1er ?), à lire d'autres c'était peine perdue... A lire certains Guillaume II voulait faire machine arrière les 24, 28 juillet et encore le 1er août, à lire d'autres ce n'étaient là que des "gesticulations" car il souhaitait cette guerre.
Je vais tenter de retrouver ce vieux Renouvin (Les origines immédiates de la guerre) et reviendrai plus tard ici.
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Là c'est question d'interprétation... Je ne crois pas (à lire Baechler et les autres que j'ai cités) que Guillaume II voulait que l'Allemagne fasse la guerre. Et même l'état-major allemand envisageait comme un cauchemar cette guerre sur deux fronts...