Je poste l'ensemble du résumé de l' ARTICLE DE BANNING en une fois pour en faciliter la lecture. En italique, la dernière partie constituée de la discussion et de la conclusion.
DESCRIPTION DE GOBEKLI TEPE (p. 620 à 622):
- le niveau III (PPNA ou début PPNB, mais pas de date précise de 9600 à 8800 (Hauptmann)) est constitué de structures ovales de 15 m x 10 m. Il y a au moins deux autres cercles à l'intérieur. On trouve, dans les murs, des piliers en forme de T sculptés, mesurant de 2 à 3.5 m, voire 5 m, et deux autres plus grands au centre des cercles. Il y a également à l'entrée deux pierres en forme de U (j'avoue ne pas trop savoir à quel mégalithe il fait référence, si quelqu'un peut poster une photo...).
- le niveau II qui date du milieu du PPNB (env. 7500 av. J.-C.). Les constructions sont plus rectangulaires et plus petites (5m x 3 m). Les sols sont en terrazzo. Les piliers sont plus petits et ne sont pas décorés. Certaines constructions montrent des bancs en pierre contre les murs ou des "projections from walls" ?
- le niveau IIb (ou II,III), peu étudié qui, d'après ce que j'ai compris, date d'une période comprise entre le niveau III et le niveau IIa.
Il y a des marques et des trous au-dessus des piliers (dont on avait parlé car j'y voyais des sortes de "mortaises") qui, selon Schmidt, sont là parce que le haut des piliers n'était pas destiné à être vu .
Il y a des carrières, non loin.
L'INTERPRETATION QUI PREVAUT ACTUELLEMENT (p.622 à 624) (celle de Schmidt) => Nous avons parlé de la plupart de ces éléments mais il est intéressant de comprendre les arguments de Schmidt.
- les constructions sont des temples.
Schmidt se base, pour l'affirmer, sur leur monumentalité et sur le caractère impressionnant des sculptures. Des centaines de personnes ont dû participer à l'érection des monuments. Il y aurait 15 autres constructions de niveau III et 200 piliers en T encore enfouis (découverts grâce au géomagnétisme). Le site aurait été enfoui intentionnellement sous 5 m de terre et de pierres de calcaire ("limestone chips" ?). Il aurait fallu quelque chose comme 32 personnes pendant une semaine pour mener à bien cette tâche.
Il n'y a pas de traces de vie domestique (foyers, fours...). Les constructions n'avaient pas de toit.
Schmidt se base aussi sur d'autres sites, comme Nevali Cori ou Cayönü, qui, pour lui, présentent des similitudes avec Göbekli où de tels bâtiments sont considérés comme des lieux de culte.
- Le site n'est pas un village ("Settlement"?)
L'argument principal de Schmidt est qu'il n'y a, aujourd'hui, pas de sources connues près du site.
Néanmoins, Schmidt a récemment revu sa position et considère que certaines personnes devaient vivre sur le site (prêtres ou autres).
-Le site était un lieu de pèlerinage ou de rencontres rituelles pour les chasseurs cueilleurs.
Cette affirmation découle des deux précédentes. D'autres éléments : on trouve du matériel venant de régions différentes et assez éloignées (de l'obsidienne par exemple). Il n'y a pas de plantes domestiquées alors qu'on a trouvé les premières traces dans la région (mais je ne suis pas sûre de ce passage, p 624). les animaux chassés étaient les gazelles, les aurochs, les moutons, les chèvres, les sangliers , les cerfs (red deer ?).
UN AUTRE POINT DE VUE L'interprétation qui voit dans beaucoup de constructions néolithiques des lieux de culte est problématique. les auteurs qui affirment cela suivent probablement Durkheim qui considère que la dichotomie entre sacré et profane est le fondement du sentiment religieux.
Preuves ethnographiques de lien entre les rituels domestiques et la cosmologieMais il y a de nombreux exemples , en ethnographie, qui montrent que cette scission entre les deux n'est pas toujours aussi tranchée.
- les maisons des Batammaliba au Togo et au Bénin qui sont une métaphore de leur cosmologie et du corps humain (le haut symbolisant le ciel, la terrasse a terre, les chambres éloignés métaphore du monde soterrain...
- les maisons berbères ou kabyles : il y a des rites particuliers pour la construction (fondation, tracé, participation du groupe, sacrifices, portes enduites de sang...). Tout est sacré dans et animé dans la maison.. Il y a même un culte des piliers centraux où réside un esprit en forme de serpent .
- ex avec certaines maisons japonaises.
- le laraire romain.
Les preuves ethnographiques d'art domestiqueJe ne m'étendrai pas sur la traduction de cette partie tellement la thèse soutenue me semble évidente.
Les preuves archéologiques de rituel et de symbolisme dans un contexte domestique.
Même chose pour cette partie où je me contenterai de citer la référence à Catal Höyük où on été trouvés des bucranes, des cornes, des scènes peintes (mythologiques ou religieuses), des cranes humains dans des lieux considérés comme des habitats, sans parler de toutes les statuettes de "déesses-mères" découvertes aussi dans les maisons.
REINTERPRETER LES PREUVES DE GOBEKLI TEPEIl est possible que les constructions de Göbekli Tepe soient à la fois des espaces rituels et domestiques.
Est-ce que les constructions étaient des maisons d'habitations ? Dans d'autres sites, comme Nevali Cori et Cayönü, il y a une véritable différence de structures entre les habitats et les lieux de culte. Pas à Göbekli Tepe : il n'y a que des bâtiments ovales dans le niveau III et que des constructions rectangulaires dans le niveau IIa avec des piliers en T ou des contreforts internes. Un seul lieu possédait un pilier décoré (d'un lion), ce qui pourrait distinguer ce lieu des autres, ce que Schmidt ne fait pas.
Si les structures ne possédaient pas de toit, il est clair qu'elles ne pouvaient être des habitations. Schmidt, d'après ce que j'ai compris, s'appuie sur des recherches faites sur d'autres sites, qui ont conclu que certaines structures n'avaient pas de toit. Mais d'autres en avaient certainement. A Göbekli Tepe, le pilier de la structure D est percé d'un trou près du sommet qui permet de placer un tronc pour son érection. La plupart des structures du niveau III n'excèdent pas 3.5 m (et non 6 m). L'emplacement du pilier central convient particulièrement bien pour un toit (v. schéma 4, très clair, p. 630). Mais existait-il à l'époque des troncs d'arbre de cette taille à cet endroit ?
Le pilier 43 dépeint trois objets énigmatiques : 3 rectangles avec des "poignées" qui pourraient représenter des maisons au toit de chaume ou des constructions voûtées.
Comparaison avec d'autres sites dont les structures parfois très larges, possédaient sans doute des toits.
Il existe des piliers en T dans de nombreux endroits : Nevali Cori, Hamzan Tepe, Karahan Tepe, Adiyaman-Kilisik, Sefer Tepe and parfois dans un contexte domestique. Mais il n'est pas impossible que tous ces sites aient été au départ des lieux de culte (l'auteur prédit qu'on trouvera de nombreux sites aussi impressionnants que Göbekli Tepe dans la région d'Urfa).
Schmidt a sans doute surestimé le nombre d'hommes nécessaire à la construction du site. La plupart des piliers ne pèsent pas "plus de 10 tonnes", comme il l'affirme, mais 2.5 tonnes et jusqu'à 6 tonnes pour les piliers centraux. Une douzaine de personnes pourraient avoir érigé chacun des monolithes de Göbekli Tepe.
A propos de l'absence de foyers et de fours, il est envisageable que la dalle de pierre monumentale que Schmidt considère comme un cadre de porte (door frame ?) ait servi de limite à un foyer. Les cercles de pierre calcaire énigmatiques, trouvés sur le site, pourraient avoir la même fonction. On a trouvé également des mortiers portatifs, un bol / récipient en pierre (stone bowl) avec une petite gouttière que Schmidt interprète comme une pierre de sacrifice, des assiettes, des vases ("crude vessel") en pierre, même s'il est vrai que les pèlerins venus visiter le site auraient eu également besoin de se nourrir.
Est-ce que le site était un village ?
Les zones de remblai présentent de nombreux outils lithiques et des os d'animaux, ainsi qu'une terre noire "anthropogénique" mêlée à des éléments organiques.
Les plantes ne sont pas bien préservées mais il y a des traces d'arbres. Il y a de nombreuses dépressions / trous (des cupules ?) qui pouvaient servir à la confection de nourriture.
La présence de ces restes domestiques peut être expliquée de trois manières :
- ces restes domestiques, ont été apportés d'ailleurs, comme Schmidt le pense, bien qu'aucun site contemporain ne se trouve à moins de 14 km ;
- ces restes proviennent des bâtisseurs et des pèlerins qui se rendaient occasionnellement sur le site ;
- ces restes, comme Schmidt l'a concédé récemment, ont été consommés par une petite population constituée du personnel des temples et de gens installés autour du temple.
L'argument de Schmidt pour affirmer que Göbekli Tepe n'était pas un village, est que le site se trouve sur une crête sans sources proches (comme à Karahan Tepe). Il y a des sources au pied de la crête. Il était sans doute difficile de charrier des récipients en peau remplis d'eau.
Mais il est possible qu'il y ait eu, sur le site, une source qui n'existe plus. Car la région, à l'époque, était plus humide qu'aujourd'hui. L'analyse des anciennes plantes du site de Göbekli Tepe montre que ce lieu était plutôt une steppe de forêt avec des pistachiers et des aubépines en grande quantité mais aussi des frênes, des saules, des peupliers. Il y a également des citernes sur le site mais qu'on ne peut pas dater avec certitude. Mais, une citerne du même style à Hamzan Tepe laisse penser que certaines citernes de Göbekli Tepe pourraient dater du Néolithique.
Il est possible que les structures d'habitation du niveau III n'aient pas encore été fouillées et qu'on ait retrouvé pour le moment que des temples ou des bâtiments où la pratique rituelle était importante.
Est-ce que le site était un centre rituel pour chasseurs cueilleurs ?
Il existe des sites, comme Stonehenge, qui attiraient du monde depuis des régions lointaines. Mais, même si l'obsidienne vient de trois endroits différents à Göbekli, ça ne constitue pas une preuve suffisante pour affirmer que ce lieu était fréquenté par des pèlerins. Certes, il n'y a aucun reste de céréales domestiquées mais c'est aussi le cas de nombreux sites de cette époque. On sait d'ailleurs que l'agriculture a pu être pratiquée sans que les céréales et la morphologie des animaux aient été modifiées pendant un certain temps.
Discussion
L' interprétation qui considère les structures de Göbekli Tepe comme des temples provient du fait qu'on voit la religion néolithique à travers le filtre des religions pratiquées au Proche Orient bien plus tard. Elle se base sur l'idée que les religions sont conservatrices et n'évoluent pas. Mais les communautés du PPN sont historiquement aussi éloignées des chasseurs-cueilleurs qu'elles le sont des civilisations du Proche Orient.
Framing and the Identification of Ritual => le passage est trop subtil pour mon anglais
Conclusion
Banning propose de regarder les structures de Göbekli Tepe avec un regard neuf. Il propose d'oublier le modèle de famille nucléaire et d'imaginer que les constructions circulaires sont des habitats où vivraient des clans, des familles avec des symboles héraldiques (les statues en relief sur les piliers) en compétition avec d'autres clans. Il propose une lecture du pilier aux "boîtes avec des poignées" (ou cadenas). Ces boîtes sont peut-être des constructions de Göbekli (avec un toit) associées chacune à un animal qui serait l'emblème du clan ou de la maison.

Banning se pose encore beaucoup de questions : est-ce qu'il y a d'autres types de constructions que les cercles dans le niveau III ? Les constructions avaient-elles ou non un toit ? Est-ce qu'il y a des constructions du niveau III sous le niveau IIa ? Quel est le lien stratigraphique entre le niveau II et le niveau IIB et y'a-t-il une possibilité qu'ils se chevauchent ? Parmi les outils en pierre, combien ont été utilisés pour la construction de Göbekli ? Combien pour la chasse ? Et combien pour la préparation des repas ? Quelle est la situation de sites semblables, comme Karahan Tepe, qui possèdent beaucoup de piliers en T ? Sont-ils concentrés dans des bâtiments particuliers et absents des bâtiments ordinaires ?
Il est vraisemblable que certains de ces bâtiments aient été des lieux de rites (fêtes, rites, mortuaires, magie, initiations). Mais il n'y a a priori pas de raisons pour considérer que ce n'étaient pas des lieux d'habitation.